La vie en plus joli Roman Dès le 10 décembre 2021
Un nouveau roman arrive...
La vie en plus joli...
à retrouver dès le 10 décembre en version papier et numérique.
Et si une
simple erreur pouvait tout changer ? Et si, pour trouver l’équilibre et le
chemin du bonheur, il fallait simplement s’éloigner un peu de son quotidien ?
Clotilde, la trentaine, responsable d’un lieu d’accueil enfants-parents,
est très investie dans son travail.
Un matin, elle apprend que Lisa Belin, l’une des mères de famille habituées de
son espace d'accueil a disparu.
La vie de Clotilde va alors basculer...
Entre lacs somptueux, forêts d’arbres centenaires et dunes de sable fin,
depuis les grandes étendues corréziennes jusqu’au splendide bassin d’Arcachon,
plongez avec elle dans une tranche de vie qui ne le laissera pas indemne...et
où elle devra affronter toutes ses vérités.
Extrait :
« Ce matin-là, comme tous les mercredis matin, Marinette était derrière son
bar. Elle m’a abreuvée des ragots du village. Au milieu d’un déferlement de
potins, entre la réfection des chaussées et l’installation inespérée d’un
nouveau commerce, elle a balancé :
- Lisa Belin a disparu depuis deux jours, tu es au courant ?
- Non, ai-je répondu en écarquillant les yeux.
Des histoires de disparition, j’en voyais à la télévision, mais pas ici, pas à
Egletons. Ici, c’était calme et paisible. Un endroit pour regarder pousser les
fleurs. Pas du tout le lieu pour une tragédie.
J’ai regardé Marinette avec indignation. Comment pouvait-elle lancer une telle
nouvelle avec autant d’indifférence ? Lisa Belin, c’était une mère de famille
sans histoire, une maman complètement dévouée à ses deux enfants, une femme
généreuse que la vie n’avait pas épargnée et qui enfin s’épanouissait.
Marinette a ajouté:
- Apparemment, mardi matin, Paulo s’est réveillé seul dans son lit. Plus de
voiture. Plus de Lisa. Voilà, je n’en sais pas plus. Ils vont bien la
retrouver. Ne t’en fais pas trop. »
Les lieux :
Les musiques du roman...
Les premières pages, les trois premiers chapitres :
La vie en plus joli
Roman
Céline Fuentès
Date de sortie : 10 décembre 2021
Dépôt légal : 2021
ISBN broché : 9798775926359
ISBN relié : 9798775930783
© Fuentès Céline, 2021
« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique
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que les “copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du
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les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration,
“toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite”
(alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par
quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par
les articles 425 et suivants du Code pénal. »
« Les personnages et les situations
de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou
des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Seuls
les lieux sont inspirés d’une part subjective de la réalité. »
À ma mère…À
ma grand-mère…À
toutes nos mères, ici, au loin, qui sans cesse se relèvent et déversent sur le
monde l’amour inconditionnel…
Remerciements
Je remercie
sincèrement tous ceux qui ont participé à la réalisation de ce livre en le
relisant, en le corrigeant, en participant à la création de la couverture ou
encore en le mettant en page : Gérard Piot, Brigitte Millot, Loïc Dacquay,
Maela Leroy, Jean-Michel Thuriault pour la correction, Jeanne Sélène pour la
mise en page, Jonathan Lhuillier pour la couverture, les membres du Club des
indés et toutes les personnes qui me suivent activement sur les réseaux
sociaux.
Enfin, j’adresse une
pensée particulière au personnel formidablement investi du Lieu d’accueil
enfants-parents La parent’aise d’Égletons. Ce lieu de télescopages de destins,
que je fréquente souvent avec mon fils de trois ans, m’a donné envie de parler
de ces histoires croisées, de ces regards emmêlés, dans ces espaces
particuliers.
Clotilde — mercredi 6 juin
J’avais toujours voulu changer le monde,
depuis ma plus tendre enfance, au grand désespoir de mes parents. La faim, la
violence, la pauvreté, l’injustice, la pollution et autres maux me révoltaient.
Petite, il m’arrivait souvent de pleurer devant les informations. Je savais que
la société n’avait jamais été et ne serait probablement jamais parfaite, mais
ce n’était pas une excuse pour ne pas essayer de la rendre meilleure. Je
n’étais pas une grande révolutionnaire ni une rebelle têtue, juste une personne
qui croyait au pouvoir des petits riens qui embellissent nos vies. J’avais
toujours pensé que les ruisseaux deviennent un jour de grandes rivières.
J’avais construit mon existence autour de cet
objectif : rendre la vie plus jolie. Après des études dans le domaine
social puis celui de la petite enfance, la municipalité d’Égletons m’avait
embauchée pour créer un lieu d’accueil enfants-parents. Inspirés du dispositif
des maisons vertes créées par Françoise Dolto et cinq autres psychanalystes à
la fin des années soixante-dix, ils avaient pour but de socialiser les enfants
de moins de six ans et de favoriser les rencontres entre jeunes parents. La
parentalité était un sujet qui m’avait toujours tenu beaucoup à cœur.
L’importance des mille premiers jours dans la vie d’un être humain était de
taille. Avec cette mission, je pouvais vraiment contribuer au mieux-être de
centaines d’enfants. Tout créer de A à Z était pour moi un défi qui me
galvanisait depuis maintenant plusieurs années. Les élus me faisaient confiance
et je multipliais les initiatives et les projets.
Ce lieu, c’était mon bébé. D’ailleurs, c’est moi
qui lui avais donné son nom. Le jour où la pancarte avait été installée
au-dessus de l’entrée, j’avais presque eu l’impression qu’il s’agissait d’un
baptême… Je l’avais nommé La vie en plus joli, après
quelques discussions houleuses avec ma hiérarchie concernant son orthographe.
J’aurais aimé avoir raison, j’aurais aimé l’écrire La vie en
plus jolie avec un e à la fin. Mais ma chef de
service avait fini par brandir une preuve irréfutable : un courrier
électronique d’un membre du service dictionnaire de l’Académie française qui
confirmait ses certitudes. Moi, j’avais dû me rendre à l’évidence, ce serait La vie en plus joli. Malgré l’absence du e à la fin à
laquelle j’avais fini par m’habituer, cette appellation me collait à la peau et
me donnait encore plus envie de me dépasser.
J’avais bâti mon existence autour de mon
travail ; surtout après la perte de mon conjoint Thibaut, plus rien
d’autre ne comptait. Je m’investissais corps et âme. Avant l’embauche, je
commençais toujours ma journée au Café de la Gare. Ce rituel me rassurait. J’y
puisais force et courage, peut-être parce que mon arrière-grand-père en avait
été le propriétaire. Entre ces murs un peu décrépis, je sentais son cœur pur
survivre à ma mémoire.
Ce matin-là, comme tous les mercredis matin,
Marinette était derrière son bar. Elle m’avait abreuvé des ragots du village.
Au milieu d’un déferlement de potins, entre la réfection des chaussées et
l’installation inespérée d’un nouveau commerce, elle a balancé :
— Lisa Belin a disparu depuis deux jours,
tu es au courant ?
— Non, ai-je répondu en écarquillant les
yeux.
Des histoires de disparition, j’en voyais à la
télévision, mais pas ici, pas à Égletons. Ici, il ne se passait jamais rien.
C’était calme et paisible. Un endroit pour regarder pousser les fleurs. Pas du
tout le lieu pour une tragédie.
J’ai regardé Marinette avec indignation.
Comment pouvait-elle lancer une telle nouvelle avec autant d’indifférence ?
Lisa Belin, c’était une mère de famille sans histoires, une maman complètement
dévouée à ses deux enfants, une femme généreuse que la vie n’avait pas épargnée
et qui enfin s’épanouissait. Et puis, c’était la femme de Paulo, un homme sur
qui l’on pouvait compter. Je l’avais toujours apprécié même s’il avait toujours
tout fait pour m’éviter. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait, mais des
histoires de famille le lui imposaient. J’avais toujours trouvé cela étrange,
mais je n’avais jamais su le pourquoi du comment.
Marinette a enchainé sur ce même ton monocorde :
— J’ai vu José, le patron de son mari,
hier soir à l’apéro. Il était bien embêté sans mécanicien à la scierie. Il a
dit que sans Paulo, c’est difficile de faire tourner les machines. Elles
n’arrêtent pas de tomber en panne. José se fait beaucoup de soucis.
— Il est inquiet pour ses machines ou
pour la femme de son employé ? ai-je rétorqué, choquée.
— Les deux évidemment… Ne prends pas tes
grands airs offusqués, tu ne sais pas ce que c’est d’avoir une entreprise à
faire tourner…
— Une femme a disparu et toi tu me parles
de matériel, d’argent, de rendement ! On aura tout vu… Il a donné d’autres
détails sur Lisa Belin ?
— Pas grand-chose. Paulo a juste dit à
José que sa femme avait disparu et qu’il ne pourrait pas travailler. Il n’a
personne pour garder les enfants et a demandé des jours de congé. Impossible de
faire autrement. Il ne sait pas où elle est. Il est allé chez les gendarmes.
Une enquête a été ouverte.
— Ce n’est pas possible, ai-je dit en
levant les yeux au plafond défraichi du bar.
— Apparemment, mardi matin, Paulo s’est réveillé
seul dans son lit. Plus de voiture. Plus de Lisa. Voilà, je n’en sais pas plus.
Ils vont bien la retrouver. Ne t’en fais pas trop.
— J’espère… Ses deux gamins doivent
sentir qu’il se passe quelque chose d’anormal. Ça doit être terrible pour
Paulo. Il faut que je l’aide. Je ne peux pas le laisser comme ça.
— C’est sûr, c’est un peu ton boulot
d’épauler les parents, m’a répondu Marinette en lavant quelques tasses sales
qui trainaient sur le comptoir.
— Bon, il faut que j’y aille, je vais
être en retard. J’ouvre à 8 h 30.
J’ai claqué la porte derrière moi et j’ai
tourné la clé de ma vieille voiture en espérant qu’elle démarrerait au quart de
tour cette fois.
Toutes mes pensées allaient vers Lisa.
Je la connaissais bien. Elle venait tous les
mercredis matin à La vie en plus joli. Il était rare
qu’elle vienne les autres jours d’ouverture, le lundi soir ou le vendredi
après-midi, mais le mercredi, elle ne manquait jamais à l’appel et semblait y
trouver beaucoup de plaisir.
Son plaisir affiché à fréquenter le lieu
d’accueil, comme celui des autres mamans, était pour moi la plus belle des
victoires. Cela résumait exactement ce que je voulais apporter aux familles et
plus particulièrement aux enfants : du mieux vivre. Je ne pouvais pas
changer leurs vies, mais je pouvais apporter un épisode de bonheur, une
parenthèse de convivialité, un endroit où chacun, quel qu’il soit, pourrait
trouver sa place. Ce lieu, je le bichonnais. Je changeais les jouets tous les
mois, je décorais en fonction des saisons, je mettais des prospectus à
disposition, je lançais des sujets de conversations sur l’allaitement,
l’éducation bienveillante, les massages des bébés. J’écoutais sans juger et je
me battais pour qu’un maximum de budget soit alloué par la municipalité et
surtout qu’on puisse ouvrir de nouveaux créneaux horaires. Trois fois par
semaine, ce n’était pas assez.
Le mercredi, Lisa était souvent là dès
l’ouverture à 8 h 30 et ne partait qu’à la fermeture à 11 h 30.
Elle ne posait pas de problèmes, elle était normale, une maman qui venait jouer
avec ses enfants en bas âge, profiter des jeux mis à disposition et surtout
échanger avec d’autres mères.
Elle était souvent accompagnée de ses amies :
Victoria et Mounia. Elles s’étaient rapprochées ici.
Mais là, depuis que j’avais appris la
disparition de Lisa ce matin, je n’avais pas la tête à travailler. Je pensais à
ses deux enfants, Bastien et Mathilde. Ils étaient sans maman. Je les imaginais
pleurer sans pouvoir être rassurés. Paulo, le papa devait être dans un état
effroyable. Je souffrais pour lui. Je me devais de l’aider, de l’appeler pour
proposer une solution d’urgence. Avec ma collègue du Pôle petite enfance, on
gardait toujours une ou deux places à la crèche, au cas où.
J’ai passé la porte et suis allée voir
directement Aline, la directrice. Son bureau était juxtaposé au mien et nous
avions l’habitude de travailler ensemble. Je lui ai dit ce que je savais sur la
disparition de Lisa Belin et sur la probable détresse du papa. Elle m’a dit
qu’elle s’en occupait, qu’elle allait essayer de le joindre et de lui proposer
deux places, pour Mathilde et Bastien dès demain s’il le souhaitait. J’ai un
peu insisté auprès d’Aline : normalement c’étaient les parents qui
faisaient la démarche d’appeler, pas l’inverse. Elle a fini par accepter en
faisant une petite incartade dans ses principes.
Et puis, j’ai ouvert quand même La vie en plus joli. De toute façon, je n’avais pas le
choix. À ma grande surprise, Victoria et Mounia étaient là avec leurs enfants.
Je ne savais pas quoi leur dire. Alors j’ai fait comme si je ne savais pas. Et
le pire, c’est qu’elles aussi, elles ont fait comme si de rien n’était.
Elles ont joué de la même manière avec leurs
petits ; Victoria m’a demandé si elle pouvait se servir un café, Mounia a
lu une histoire à son dernier. Les plus grands ont chahuté un long moment dans
la piscine à balles et ont joué à cache-cache dans l’espace de motricité, entre
les tapis de mousse, les toboggans et les ballons sauteurs. Une autre maman
aidait sa fille à marcher. Une maladie génétique retardait fortement ses
acquisitions. À bientôt deux ans, elle faisait toujours du quatre pattes.
C’était moi qui lui avais conseillé de consulter son pédiatre après avoir
longuement écouté ses inquiétudes. Aujourd’hui, la petite Mila était suivie par
une équipe de spécialistes aussi compétents que variés : ergothérapeutes,
orthophoniste, kinésithérapeutes, neuropsychiatres, psychomotricienne… La maman
de Mila était rassurée et surtout épaulée dans son rôle de parent et la petite
avait fait des progrès fulgurants. J’étais heureuse de la voir passer de bons
moments avec sa fille, au milieu des autres, le sourire aux lèvres.
Pourtant, plus la matinée avançait, plus je me
sentais mal. Comment pouvions-nous vivre aussi sereinement alors qu’un tsunami
s’était abattu sur la famille de Lisa ? Il était impossible que Victoria
et Mounia ne soient pas au courant. Elles devaient être les premières personnes
que Paulo avait appelées pour savoir si Lisa n’était pas avec elles.
Vers 11 heures, madame Pourty, la chef de
service du service enfance jeunesse, a pénétré dans le lieu d’accueil. Elle n’a
pas pris le temps d’enlever ses chaussures ni son manteau. Elle m’a fait signe
de la rejoindre près de la porte et m’a chuchoté :
— Clotilde, je ne sais pas si tu es au
courant, mais madame Belin, une maman qui fréquente La vie en
plus joli a disparu depuis hier. Les enquêteurs veulent t’auditionner.
Je leur ai dit de venir à 11 h 30, que tu pourrais leur consacrer un
peu de temps. Je me suis arrangée pour le rangement : l’agent d’entretien
de la piscine viendra tout remettre en ordre ici à ta place. Ça sera
comptabilisé comme du temps de travail. Tu la connaissais bien non ?
— Elle venait tous les mercredis, souvent
avec les mamans là-bas. C’étaient ses amies. Moi, je n’ai pas grand-chose à
dire sur elle. Je ne vois pas pourquoi les enquêteurs veulent me voir.
— Ils cherchent, ils ne comprennent pas
comment une mère a pu partir au milieu de la nuit en laissant ses deux petits.
Apparemment, elle a pris sa voiture. Ils pensent à un départ volontaire du
foyer. Ils m’ont dit qu’ils ont besoin d’avoir un regard professionnel sur son
rôle de mère.
— Madame Pourty, vous savez, c’est
anonyme ici. Je n’ai pas vraiment le droit de divulguer des informations ni de
juger ses pratiques éducatives.
— Je sais Clotilde, je leur ai dit, mais
ils ont insisté. Ils m’ont convaincue. De toute façon, tu dis ce que tu as
envie de dire. Rien ne te force à parler ou à donner des détails confidentiels.
Et puis, il paraît que tu connaissais Lisa depuis l’école primaire. Donc, pour
eux, ton témoignage est important… Sinon, rien de particulier en ce moment,
tant que je suis là ? L’organisation de la semaine de la petite enfance ?
Tout est prêt ?
— Oui, tout est carré.
— Tu commences demain en fin d’après-midi
avec la rando-poussettes ? Tu as beaucoup d’inscriptions ?
— Oui pas mal, une quinzaine de mamans se
sont inscrites. Par contre, aucun papa… J’espère juste que la météo sera de
notre côté, ils annoncent quelques orages en fin de journée. La rando est
prévue de 17 h 30 à 18 h 30, nous passerons peut-être entre
les gouttes.
— On va croiser les doigts, mais, à ce
que j’ai vu, les averses sont plutôt prévues pour la nuit. J’essaierai de
venir. J’ai une réunion avec les élus, mais je vais tenter de me libérer de
bonne heure et vous rejoindre. Et pour l’atelier d’inspiration Montessori
d’après-demain, ça s’est réglé ? L’intervenante sera là ? C’est le
matin ?
— Oui, l’association Rêves
d’enfants m’a juste dit que ce sera une autre animatrice, qu’elle est un
peu moins expérimentée, mais ça devrait aller. C’est de 10 h à 11 h.
Il y a cinq inscrits.
— C’est encourageant. Bon, je vous laisse
et ne tardez pas trop à me faire passer votre projet ciné-débat du mois
prochain que je puisse le faire valider par les élus. Vous savez, le temps
défile. La psychologue, la neuropsy et la pédiatre qui doivent participer
veulent savoir si ce projet est toujours d’actualité. Elles m’ont contactée la
semaine dernière. Cela leur tient à cœur apparemment d’avoir cet espace de
parole sur les progrès récents en matière de neurosciences sur les
apprentissages des enfants.
Feliccia, ma nouvelle collègue, nous a coupées :
— Clotilde. C’est Lyam, le petit de
Victoria, il s’est cogné contre la table de dessin. Tu pourrais venir le
soigner ?
Madame Pourty m’a fait signe qu’on
s’appellerait plus tard et a disparu derrière la porte. J’ai suivi ma nouvelle
collègue dans la salle de motricité.
Feliccia avait participé à la formation
d’écoute, obligatoire pour travailler dans le Lieu d’Accueil Enfants-Parents, à
Brive-la-Gaillarde la semaine précédente. J’étais ravie de l’intégrer dans
l’équipe. Elle était d’origine turque et ici, à Égletons, il y avait une grosse
communauté. J’avais envie que les mamans de toutes origines puissent se sentir
plus à l’aise grâce à elle. J’espérais aussi qu’elle pourrait m’informer plus
en profondeur sur les coutumes turques. Le mélange culturel avait parfois du
mal à se faire et j’avais envie de favoriser ces liens. Je savais que c’était
un immense défi, mais comme toujours j’étais très motivée et j’y croyais. En
plus, Féliccia était pleine de dynamisme, malgré une certaine timidité.
J’ai soigné Lyam, il n’y avait qu’une petite
égratignure, mais Victoria était en panique. Elle gesticulait en tous sens et
n’était plus du tout rationnelle. Je ne l’avais jamais vue comme ça. Elle
d’habitude si posée. Feliccia l’a rassurée avec beaucoup de bienveillance en
lui prouvant que ce n’était qu’un petit bobo et qu’il ne fallait pas se mettre
dans un tel état devant Lyam qui avait du mal à se calmer.
Après le départ de Victoria et de Mounia, j’ai
fermé La vie en plus joli. Au bout du parking, une
voiture de gendarmerie se garait. Une femme jeune et un homme proche de la
retraite. Je ne les connaissais pas. Ils ont croisé les deux mamans en posant
un regard appuyé sur elles. Lyam pleurait encore un peu.
J’ai avancé vers eux et nous sommes allés dans
mon bureau. J’étais mal à l’aise. Ils ont refusé le café que je leur proposais.
Ils ne souriaient pas. Ils étaient à peine polis.
Les questions ont commencé.
La dernière fois que j’avais vu Lisa, depuis
combien de temps je la connaissais et surtout quelle maman était-elle.
— Selon vous, elle avait une relation
saine avec ses enfants ? Elle était maternelle ? Aimante ?
Bienveillante ? Comment la définiriez-vous ?
Je me dépatouillais comme je pouvais entre ce
que j’avais le droit de divulguer et ce qui relevait du secret professionnel.
Je ne voulais pas la juger. Je m’en suis tenue aux faits :
— Oui, elle prenait ses enfants dans ses
bras.
— Non, elle n’allaitait pas la dernière.
— Oui, elle était une habituée de La vie en plus joli.
— Oui, je la connaissais depuis le CE2,
date à laquelle elle avait emménagé ici avec ses parents et son frère Benjamin.
— Oui elle était proche de Victoria et de
Mounia.
— Non, son mari Paulo ne venait pas ici.
— Oui, pour moi, c’était une maman
normale.
— Non évidemment, je ne savais pas du
tout où elle pouvait être.
— Non, je n’avais rien remarqué de
particulier ces derniers temps dans son comportement.
Quand ils avaient quitté les lieux, j’étais
complètement épuisée, comme s’ils m’avaient volé mon énergie. Et puis j’ai
commencé à me sentir coupable. Je ne sais pas pourquoi.
Il faut dire que les ragots ne m’ont pas
aidée. Les rumeurs ont débuté dès que les gendarmes sont partis. Même certains
collègues avec qui j’étais intime me regardaient un peu de travers. Je savais
déjà que les médisances n’allaient pas tarder à monter à l’école située juste
au bout du terrain de basket.
J’avais l’habitude d’entendre des inepties à
propos de La vie en plus joli. Depuis l’ouverture, il
se disait que ce lieu était trop fréquenté par des mères adeptes des pratiques
éducatives nouvelles. Que certaines mamans pratiquaient l’instruction en
famille, que des gamins n’allaient pas à l’école. Que d’autres ne juraient que
par Montessori ou les neurosciences. Que c’était un nid à femmes trop
originales. Un lieu sans aucune utilité, de l’argent public gaspillé, balancé
par les fenêtres.
Depuis toute petite, je souffrais du
qu’en-dira-t-on. Ici, quoi que tu fasses, quoi que tu dises, tout se sait, tout
est déformé. Les ragots se colportent à la vitesse de la lumière. Le plus
souvent, ça ne part pas d’une mauvaise intention, mais les dégâts peuvent être
dévastateurs.
J’étais toujours passée au-dessus de ces
jacassements, mais là, ce n’était pas pareil. J’étais à fleur de peau. J’ai
senti la colère monter en moi, le dégoût même. Avec toute la motivation, toute
l’énergie, tout le temps que je mettais dans le développement de La vie en plus joli et du soutien à la parentalité en
général… C’était incompréhensible, énervant. Les gens sont mauvais. Ils aiment
tout envenimer, se mêler de ce qui ne les regarde pas et surtout râler à n’en
plus finir, pour tout, pour rien.
À ma pause déjeuner, au moment de démarrer la
voiture, je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je suis allée chez Victoria.
Chapitre 2Clotilde — Mercredi 6 juin
Il devait être 18 h 30 quand j’ai
tapé à la porte de l’appartement B2 situé au deuxième étage de la Résidence des
Rameaux. Lyam a ouvert la porte. J’entendais le bébé pleurer et Victoria pester :
— J’arrive !
Le petit dans les bras, un biberon dans une
main, elle m’a regardée d’un air surpris. Elle n’avait pas l’air ravie de me
voir débarquer chez elle. Je représentais quand même le monde des
professionnelles de la petite enfance, des services sociaux, de l’État. Je
savais que Victoria avait eu quelques soucis et avait été suivie par une
assistante sociale. Je captais dans ses yeux une immense méfiance.
— Euh, Clotilde, qu’est-ce qui vous amène ?
Avant, Victoria me tutoyait. Depuis mon
embauche à La vie en plus joli, elle avait pris une
certaine distance, un peu comme si j’étais une étrangère alors que nous avions
grandi ensemble, sur les mêmes bancs d’école. Nous avions même été proches,
surtout au temps où ma meilleure amie Sarah et moi avions monté notre Club de
sauvegarde de la planète. Nous devions être en CE2. Au début, nous nous
contentions de faire des exposés sur les espèces en voie d’extinction dans
toutes les classes. Petit à petit, un bon nombre d’élèves, surtout des filles,
nous avaient rejointes. Les plus actives étaient Victoria et Lisa Belin.
La maman de Sarah, très impliquée dans la
cause environnementale et présidente de l’association des parents d’élèves,
nous avait aidées dans nos projets. Deux ans plus tard, nous montions notre
association loi 1901 et organisions des expositions, collectes et participions
à bon nombre d’actions à l’échelle de la commune et du département. Il nous
arrivait même de faire la une des journaux régionaux. C’était toujours Sarah
qui parlait. Elle s’exprimait bien et à travers ses mots et sa prestance, nos
projets rayonnaient. Nous, nous contentions d’être à ses côtés. À l’initiative
de toutes nos actions, Sarah avait les idées, l’esprit pratique et surtout
cette assurance folle. Elle n’avait peur de rien. Pour elle, les obstacles
étaient des opportunités pour s’améliorer. Il faut dire qu’elle était bien
entourée… Entre sa mère très positive et encourageante et son petit copain
Thibaut, star du collège et fou amoureux, Sarah était comblée.
Je l’admirais. Elle me communiquait sa force.
Avec elle, le monde m’appartenait et tout était possible. Nous étions
fusionnelles. De ces amitiés qu’on pense qu’elles ne s’arrêteront jamais. De
ces amitiés qui aident à avancer, qui font grandir et soulever des montagnes.
Je profitais de cet élan positif. Le bonheur est contagieux quand on veut bien
le laisser entrer.
Tout s’était arrêté quand Sarah avait
déménagé, assez subitement, pour partir en Polynésie française. Nous avions 15
ans. Son père avait obtenu une mutation depuis longtemps convoitée au service
météorologie de Papeete. En moins de six mois, la maison avait été vendue, les
cartons expédiés et toute la famille était partie. Il ne restait rien sinon les
souvenirs des jours heureux remplis de perspectives d’avenir et de grands
projets.
Moi, j’étais plus seule que jamais. Ma flamme
vacillait. Mon dynamisme s’anesthésiait. Je ne brillais plus. Tout s’écroulait.
Le bonheur, je l’apercevais chez les autres. À la maison, je n’avais aucun
soutien. De toute façon, mes parents ne m’avaient jamais aidée. Trop occupés
avec leurs nouvelles vies, après un divorce houleux, ils ne m’accordaient que
peu d’attention. Pire, ils me répétaient que je n’étais pas assez bonne élève
pour me permettre de gaspiller mon temps en futilités. Alors, l’association,
les grandes idées, les actions en tout genre s’étaient petit à petit
ensevelies. Victoria et Lisa n’étaient plus tellement motivées non plus. Sans
notre chef de bande, nos discussions restaient stériles et ne se transformaient
plus en réalisations concrètes. Nos centres d’intérêt se sont tournés vers les
garçons, presque exclusivement.
C’est à ce moment-là que je me suis rapprochée
de Thibaut. Lui comme moi étions anéantis par l’absence de Sarah. Nous nous
consolions ensemble et à force de confidences, il avait fini par devenir mon
premier petit copain. Je savais que Sarah était dans son cœur depuis toujours,
mais moi, je devenais celle qui l’accompagnerait et le soutiendrait dans notre
vie d’adulte.
Victoria et Lisa ont fait leur chemin de leur
côté. Elles ne comprenaient pas que je me mette avec Thibaut. Elles m’en
voulaient, me traitaient de fille facile, de voleuse d’homme. Ce qu’il restait
de notre amitié a volé en éclats. Je n’avais plus que Thibaut et j’ai tout
donné pour que notre couple marche. En toute circonstance, je me montrais
prévenante et bienveillante même lorsqu’il se laissait aller à me parler de
Sarah qu’il n’arrivait pas à oublier. Je me disais qu’un jour, il n’aimerait
plus que moi. Quand il se sentait trop mal, je ne disais rien. Quand il
s’éloignait et préférait se consoler avec sa bande de copains, à coups de
téquila et de pina colada, je comprenais. J’ai fait de la patience mon cheval
de bataille en me disant qu’avec de la persévérance, tout était possible.
Pour Victoria, rien n’avait vraiment changé.
J’étais toujours la mauvaise fille, celle qui avait volé l’homme d’un autre. À
cela s’ajoutait évidemment mon travail qui, pour elle, était synonyme
d’administration sociale, alors que ce n’était pas du tout le cas. Alors là,
mon arrivée inopinée chez elle semblait incongrue et je savais que je n’étais
pas à ma place. Du coup, j’ai menti, entre deux sanglots du bébé qui hurlait de
plus en plus pour terminer son biberon :
— C’est Lyam, je m’inquiétais, je voulais
savoir comment il allait.
J’avais pris cette option, celle du mensonge.
Je savais que Lyam n’avait rien. Son égratignure était superficielle.
— Ah ! fit-elle soulagée. Il ne
fallait pas vous déplacer pour ça. Il va bien. Il est juste un peu grognon
depuis qu’il s’est cogné. Il a eu peur. Il se remet de ses émotions, me
répondit-elle sans me laisser passer la porte.
— Je peux entrer ? lui demandais-je
en penchant un peu la tête à droite, un peu comme une enfant qui supplierait
pour obtenir une faveur.
— Vous voyez, ce n’est pas vraiment le
moment. Lyam n’a pas mangé et Éva n’a pas fini son biberon. Ils sont fatigués
et moi aussi d’ailleurs.
— Vous voulez que je vous aide peut-être ?
J’ai quelque chose à vous demander.
— Non, ça ira. J’ai l’habitude. Écoutez
Clotilde, appelez-moi plus tard, après le coucher, je serai plus disponible.
— D’accord, à plus tard, ai-je répondu en
tournant les talons.
Je savais que la tranche horaire 18 h-20 h n’était
pas la plus simple avec les enfants, et que ma venue n’était pas vraiment une
bonne idée. Mais je ne pouvais plus revenir en arrière et j’étais obsédée par
la disparition de Lisa. Seule Victoria pouvait me renseigner.
Aujourd’hui mère célibataire de deux enfants,
Victoria les élevait seule et c’était un choix selon elle. Elle s’était confiée
un jour à La vie en plus joli. Victoria disait qu’elle
n’avait rien à cacher et qu’elle assumait. Elle voulait des enfants coûte que
coûte. Devant l’horloge biologique, à plus de 30 ans, elle avait manigancé un
plan. Elle ne pensait pas que ça marcherait du premier coup, mais tout était
allé très vite. Elle avait eu une aventure avec un gars de son travail. Il
était marié. Il lui tournait autour depuis de longs mois. Elle le trouvait
sympathique, mais sans plus. Elle ne voulait pas d’homme dans sa vie, encore
moins un type marié avec deux enfants. Elle avait commencé à prendre sa
température tous les matins, à la reporter sur un graphique qu’elle avait
téléchargé sur Internet. Sa période d’ovulation, elle la connaissait avec une
précision quasi certaine. Un soir, elle avait cédé aux avances de son collègue.
C’était le bon jour, sa fertilité était au maximum. Neuf mois plus tard, Lyam
naissait. Le père avait tout fait pour lui faire changer d’avis, pour qu’elle
ne garde pas le petit. Il l’avait même dit à sa femme qui elle-même avait tenté
de la convaincre. Elle allait élever le bébé seule. Il fallait qu’elle en soit
consciente. Mais c’était exactement le souhait de Victoria. Elle voulait être
une maman solo. Elle ne leur demanderait rien.
Malgré ses choix, elle continuait de me
considérer comme une voleuse d’homme, elle qui avait manigancé un plan pour faire
un enfant dans le dos à un homme marié. Même si elle était très mal placée pour
me juger, je lui trouvais des excuses, comme à tout le monde. J’avais décidé
que rien ni personne ne pourrait entacher mon optimisme et ma foi en la vie.
J’avais déjà tant à faire pour surmonter l’absence de Thibaut.
Élever un bébé toute seule n’avait sûrement
pas été très facile, mais deux ans plus tard, elle avait renouvelé l’opération
avec un autre homme et Éva était arrivée. Elle avait toujours voulu deux
enfants et surtout pas de père dans les pattes.
Quand elle avait raconté tout ça à La vie en plus joli, Lisa lui avait quand même dit :
— Tu as été un peu égoïste quand même sur
ce coup-là. Ces gars, tu les as piégés ! Et puis les enfants, quand ils
vont vouloir savoir où est leur père, tu vas faire comment pour leur expliquer ?
— Je leur dirai la vérité, c’est tout,
avait répondu Victoria avec beaucoup d’aplomb en ajoutant :
— Et puis, ce n’est pas égoïste, je leur
ai donné la vie, je les élève du mieux possible, je leur consacre tout mon
temps, toute mon énergie, tout mon amour.
La conversation s’était arrêtée là. C’était
vrai que Victoria était une mère courageuse, mais moi aussi, même si je ne le
disais pas, j’avais du mal à ne pas penser que ses choix étaient mauvais. De
toute façon, dans le cadre de mon travail et de mon rôle d’accueillante
enfants-parents, aucun avis ne devait transparaitre. Je me devais d’être lisse
face à cette parentalité que Victoria avait choisie.
Quand je suis arrivée au volant de ma voiture,
je n’arrêtais plus de penser à Lisa. Où était-elle ? Qu’est-ce qui s’était
passé ? Comment cette maman avait-elle pu partir sans ses enfants et
surtout son bébé ? Je n’arrivais pas à m’apaiser. J’avais envie de savoir.
J’étais bouleversée et obsédée par cet évènement. J’étais persuadée que
Victoria y était pour quelque chose, une intuition. J’essayais tant bien que
mal de chasser ces mauvaises pensées.
J’ai tourné dans les rues d’Égletons et je
suis passée devant chez Lisa. Elle et Paulo occupaient un logement derrière la
maison de retraite. Ils avaient acheté cette vieille baraque à un prix
imbattable, moins de cinquante mille euros. Une occasion à ne pas rater. Paulo
avait tout refait lui-même. Ils avaient abattu les murs, installé des terrasses
en bois devant et derrière, repeint, installé une nouvelle cuisine, changé le
parquet. Il restait encore du travail, mais c’était une maison qui était
devenue agréable. Paulo était un bon bricoleur. Il l’avait toujours été.
C’était un bon gars, un Égletonnais de souche. Il avait le même âge que moi et
nous avions fait toute notre scolarité ensemble. Il ne faisait pas partie de
mes amis. Il m’évitait. J’avais l’impression de lui faire peur et je ne
comprenais pas ce comportement étrange. Sarah pensait qu’il était amoureux de
moi.
Quand Lisa avait emménagé à Égletons, la
plupart des gamins avaient été durs avec elle. C’était la nouvelle,
l’étrangère, celle qui arrivait de nulle part, dont on ne savait rien. Avec une
mère très excentrique et un père absent, Lisa avait rapidement été la cible de
moqueries, de rejet, le bouc émissaire. Même si elle avait intégré notre club,
je ne la défendais pas. Je ne voulais pas me mettre tout le monde à dos, je ne
voyais pas le mal. Lisa se renfermait de plus en plus. Elle n’avait pas
vraiment de copine. À l’époque, elle avait juste Paulo. Lui, ça le révoltait et
il avait décidé de la prendre sous son aile. Lisa avait fini par se faire
accepter réellement quand elle était devenue officiellement la petite amie de
Paulo, au collège. À partir de ce moment-là, elle était devenue amie avec
Victoria et Mounia. Elle avait perdu ses kilos en trop et avait gagné en
assurance. Elle était devenue une belle adolescente. La plupart des garçons qui
s’étaient moqués d’elle s’en voulaient un peu. Certains étaient même un peu
amoureux. Mais elle, elle n’oubliait pas toute cette crasse, toutes ces
moqueries, toute cette méchanceté déversée sur elle en torrents. Elle, elle
n’avait confiance qu’en Paulo et c’était toujours un peu le cas.
Je suis rentrée chez moi, en essayant de ne
plus penser à tout ça, à ma culpabilité. Mon chat m’attendait. Il a ronronné
quand je suis arrivée et s’est collé à mes mollets en miaulant pour me
signifier qu’il était temps de remplir sa gamelle de croquettes. Je l’ai caressé
et l’ai envié. Lui, sa vie de chat, à penser à manger et à se balader dans le
quartier, sans responsabilité, à dormir quand il le voulait, à ne s’obliger de
rien, à ne s’inquiéter pour personne.
J’ai jeté un œil au frigo quasiment vide, ai
pris un reste de lentilles avec une tranche de jambon, me suis préparé un
plateau et j’ai allumé la télé. En replay, une émission de chansons de la
veille où deux personnes s’affrontaient pour toucher un joli pactole. La
candidate faisait quelques fausses notes, mais connaissait toutes les paroles.
L’animateur tanguait de gauche à droite un sourire aux lèvres. Des paillettes
et de la bonne humeur pour faire oublier aux téléspectateurs la fatigue de leur
journée, passer un bon moment. Avec moi, ça ne marchait pas toujours. Ma
solitude était immense, elle envahissait tout, elle avait même une odeur, ou
plutôt une absence d’odeur, ma vie sans Thibaut. Déjà un an qu’il n’était plus
là. Je regardais sa photo au mur et vite, je détournais la tête et fixais la
candidate qui faisait tous les efforts du monde pour se souvenir des paroles
d’un tube des années quatre-vingt.
Il devait être 21 heures quand j’ai appelé
Victoria. Là, je ne cherchais plus de fausses excuses, j’avais prévu pourtant
de commencer par lui demander si elle allait participer à la rando-poussettes,
mais je n’ai pas pu, j’ai juste dit :
— Allo, Victoria, c’est Clotilde. Les
enfants dorment, je ne te dérange pas ?
— Oui, bon dis-moi ce que tu veux, je
suis épuisée…
— Je comprends. Je voulais savoir, tu
sais où est Lisa ?
— Tu crois que si je le savais je ne
l’aurais pas déjà dit ! m’a-t-elle répondu un brin énervée.
— Excuse-moi, c’est juste que je n’arrête
pas de penser à elle, je suis vraiment inquiète.
— Laisse-moi tranquille, je n’en sais
rien du tout. D’ailleurs je n’y crois pas moi à cette histoire de départ
volontaire. Elle n’aurait pas laissé ses enfants.
— C’est vrai, moi non plus je ne
l’imagine pas partir sans Bastien et Mathilde. Ils étaient fusionnels. C’est
impossible. Elle allait bien Lisa ?
— Ben oui comme toutes les mamans qui ont
des petits, fatiguée c’est sûr, mais elle ne m’a rien dit de spécial. Tu es de
la police ou quoi ? Laisse-moi tranquille. Si tu as des questions, va voir
les gendarmes ou Paulo, moi je ne sais pas. Arrête de me déranger. Sur ce,
bonne soirée quand même.
Victoria a raccroché. Comme si je l’accusais
de quelque chose, elle m’avait répondu d’un ton agacé. Décidément, je ne la
reconnaissais plus du tout. Elle si organisée, si calme en toute circonstance.
Aujourd’hui elle me prouvait qu’elle était tout le contraire. Entre son
attitude quand Lyam s’était cogné et sa façon d’être débordée avec ses enfants
quand j’étais passée chez elle et là, sa manière de me répondre au téléphone en
étant presque impolie, je ne pouvais que me poser des questions sur elle. La
vérité, c’est que je commençais à la soupçonner.
J’ai pris ma voiture pour ne penser à rien, ni
à Victoria, ni à Lisa, ni à Thibaut. Vider mon esprit. Tenter de trouver
l’apaisement. Rien que la crainte de ne pas réussir à démarrer le moteur me
permettait de me changer les idées. Parfois, les petits problèmes chassent
rapidement les plus grands en une urgence de l’instant. La voiture a démarré au
bout de trois ou quatre tentatives. J’ai décidé d’écouter la radio. La voix de
Jacques Brel a résonné dans l’habitacle. Les paroles m’ont plongée dans la
douleur de ma mélancolie, sans Thibaut.
« Au troisième temps de la valse
Nous valsons enfin tous les trois
Au troisième temps de la valse
Il y a toi, y a l’amour et y a moi
Et Paris qui bat la mesure
Paris qui mesure notre émoi
Et Paris qui bat la mesure
Laisse enfin éclater sa joie. »
Notre valse à nous n’aura jamais connu le
troisième temps. Nous nous sommes arrêtés au premier temps, celui où tout est
possible, celui où tout est à venir. Jamais je n’aurai d’enfant avec lui,
jamais les petits dont je m’occupe à La vie en plus joli
ne pourront remplacer l’absence de ceux que je n’aurai pas. Jamais.
La musique n’est pas parvenue à m’apaiser. Au
contraire, les mots de Brel m’ont anéantie. J’ai coupé la radio. Alors, mille
pensées m’ont traversé l’esprit. Et si Paulo avait tué Lisa ? J’avais
entendu dire que dans neuf cas sur dix, le responsable était le mari dans ce
genre de situation. Mais il avait toujours été trop honnête et trop gentil pour
faire du mal à quelqu’un, encore moins à la mère de ses enfants… Et si Victoria
savait quelque chose ? Son comportement était tellement étrange ces
derniers temps. J’ai finalement décidé d’appeler les gendarmes pour leur dire
que l’attitude de Victoria me paraissait suspecte. Ils m’ont remerciée en
ajoutant de ne pas hésiter à les recontacter si le moindre détail me revenait,
quelle que soit l’heure. Je suis rentrée chez moi après avoir presque vidé le
réservoir d’essence.
Paulo — Le jour de la disparition
Ce mardi 5 juin 2019 à 5 h 30, les cris incessants de Mathilde l’ont réveillé en sursaut. Des pleurs intenses. Il s’est précipité dans sa chambre. Elle était couverte de sueur. Il l’a serrée contre lui et a commencé à faire les cent pas, en alternant les cadences et en variant les positions. D’un pas rapide, il est passé par la salle de bain et les chambres avant de descendre dans le salon et la cuisine. Pas de Lisa. Dehors, sa voiture n’était pas là. Il a avancé jusqu’au portail bleu. Un coup d’œil à droite et à gauche. Rien. Son cœur s’est mis à cogner plus fort. Lisa avait disparu.
À l’intérieur, il a préparé un biberon. Un peu
de poudre de lait s’est écrasée sur le plan de travail de la cuisine. Sur le
canapé, des jouets de Bastien trainaient un peu partout. D’habitude, Lisa
rangeait toujours avant d’aller se coucher.
Mathilde a bu l’intégralité de son lait. Elle
était affamée. Il s’est demandé depuis combien de temps elle pleurait. Il ne
savait même pas à quelle heure Lisa lui donnait à boire d’habitude. Ce n’était
jamais lui qui se levait la nuit.
Les yeux du bébé de six mois le cherchaient.
Au fond, on pouvait sentir de l’inquiétude. Peut-être que si elle avait su
parler, elle lui aurait demandé :
— Où est maman ?
Comme si elle lui avait posé la question, il
lui a murmuré :
— Ne t’inquiète pas, maman va revenir.
Elle est sûrement partie se promener. Chut, papa est là.
Il s’est concentré sur sa digestion. Mathilde
était fragile. Pendant une bonne quinzaine de minutes, il a tout fait pour
qu’elle reste tranquille. Il était angoissé à l’idée qu’elle renvoie tout ce
qu’elle avait avalé. C’était à cause de cette faiblesse digestive qu’il ne
donnait quasiment jamais le biberon à sa fille. Ni lui ni personne d’autre
d’ailleurs. C’était toujours Lisa. Alors là, c’était comme si c’était la
première fois et il était seul.
Son inquiétude était envahissante. Ses pensées
s’emmêlaient. Il ne comprenait absolument pas ce qu’il lui arrivait. Avec
Mathilde dans ses bras, il a encore cherché un mot, un signe, une trace, une
explication. Il n’a rien trouvé.
Il est remonté dans sa chambre et a composé le
numéro de Lisa. La sonnerie a retenti en bas dans la cuisine. Son portable
était resté là. Tout de suite, comme s’il percevait déjà le pire, il a ouvert
le placard, regardé s’il y avait son sac de voyage, ses vêtements. Tout était là.
Rien ne manquait. Dans la salle de bain, il s’est passé un peu d’eau sur son
visage fatigué. La brosse à dents de Lisa n’avait pas bougé.
Mathilde le fixait.
Il est redescendu. Le soleil venait de se
lever. La journée serait sûrement chaude encore pour un mois de juin. Les
oiseaux n’en finissaient pas de chanter. Leurs gazouillis qu’il aimait tant
entendre avaient tout à coup tendance à l’énerver.
Mathilde ne le lâchait pas du regard, comme si
elle savait que quelque chose d’étrange était en train d’arriver.
Il s’est préparé un café. L’odeur le
réconfortait, le bruit l’empêchait d’entendre ces volatiles infernaux.
Mathilde a commencé à s’agiter, comme si son
ventre la tiraillait. Il lui a caressé le dos. Il lui a fredonné une berceuse
que lui chantait sa maman, une des seules qu’il connaissait, qui n’était pas
très adaptée à la saison…
« Dans son manteau rouge et blanc,
Sur son traineau porté par le vent,
Il descendra par la cheminée
Petit garçon, il est l’heure d’aller se coucher… »
Mathilde s’est un peu tranquillisée.
Il l’a mise dans son transat et elle a fait
tourner les jouets en bois accrochés. Deux yeux, une grenouille, un soleil…
Elle a continué à les agiter pendant qu’il se servait son café. Il a pris la
tasse de Lisa, la blanche avec des motifs rouges et une large anse. Il a bu de
grosses gorgées comme s’il avait besoin de caféine pour se réveiller alors que
son esprit et son corps tout entier étaient sur le qui-vive.
À 6 h 30, il a appelé les copines de
Lisa. D’abord Victoria. Elle n’a pas répondu. Il a tenté Mounia, sur son
portable et puis son fixe. C’est son mari qui a décroché avant de réveiller sa
femme. Mounia a dit que non, qu’elle ne savait pas où pouvait être Lisa. Elle a
posé mille questions à propos des circonstances de la disparition. Il ne savait
pas si elle était vraiment inquiète pour Lisa ou juste curieuse. La discussion
l’a énervé quand elle lui a demandé :
— Mais que s’est-il passé ? Vous
vous êtes disputés ?
Il a préféré raccrocher. Il n’était coupable
de rien.
Il aurait pu téléphoner à sa famille, ou à
celle de Lisa, mais il avait peur de les affoler pour rien. Et puis, prévenir
Béatrice, la mère de Lisa, était au-dessus de ses forces. Leurs rapports
n’étaient pas vraiment au beau fixe et la perspective de l’avoir sur le dos l’angoissait.
Elle allait l’accuser, c’était certain, ou pire, traiter sa fille de bonne à
rien. Il aurait l’impression de la déranger. Béatrice avait toujours mieux à
faire.
Il a contacté les hôpitaux de la région. Cela
n’a rien donné. Ses recherches se sont interrompues quand il a entendu Bastien
qui appelait Lisa :
— Maman ? Maman ? Maman !
Maman !
Il a pris Mathilde contre lui. Elle était
tellement sage depuis son réveil que c’en était presque incroyable. Il a monté
les escaliers et a ouvert le store du Velux en disant :
— Bonjour mon petit gars. Ça va ? Tu
as bien dormi ?
Bastien s’est assis dans son lit, a changé de
sucette, a serré son chien en peluche contre lui et l’a regardé un peu surpris.
— Maman ? Maman pas là ?
— Maman est partie se promener, elle va
revenir. C’est moi qui m’occupe de vous ce matin. Tu viens ? On va manger
des céréales en bas ?
Bastien s’est redressé, a pris sa main pour
enjamber sa petite barrière, a gardé son chien dans ses bras et a eu un mal fou
à laisser sa tétine dans son lit. Ils ont descendu les marches doucement.
Bastien se concentrait pour ne pas tomber. Il avait toujours été très prudent,
pas le genre casse-cou qui grimpe partout. Il était très énergique, pour ne pas
dire épuisant, mais ne prenait pas de risques inconsidérés.
Au petit déjeuner, ils étaient bien loin de la
famille parfaite. La table était couverte de miettes, le lait en poudre était
disséminé çà et là, la cuillère était tombée par terre, le biberon vide
trainait. Bastien avait même renversé une bonne partie du paquet de céréales.
Et surtout, surtout, la maman n’était pas là.
Paulo a aimé Lisa dès le premier jour, dès le
collège. Il n’a jamais eu d’autres femmes. Avec elle, malgré les nombreuses
difficultés qu’ils avaient rencontrées pour devenir parents et à force de
persévérance, ils avaient réussi à fonder cette famille unie et heureuse. Paulo
et Lisa, deux enfants du divorce, voulaient plus que tout de l’amour et du
solide. Pour mieux chasser leurs vies de solitude, leurs enfances brisées. Ensemble,
ils réparaient leurs destinées.
Les sérieux problèmes de fertilité auxquels
ils avaient dû faire face n’avaient pas entaché leurs volontés. Bien au
contraire, ils s’étaient accrochés à leur projet, envers et contre tout, quitte
à y laisser des plumes. Ils n’en avaient parlé à personne. Ni à leurs amis ni à
leurs proches. Pour eux, c’était un sujet tabou. Un sentiment de honte féroce
les tenaillait, comme s’ils n’étaient pas capables d’avoir des enfants. Au bout
de plusieurs essais infructueux et d’examens médicaux, ils ont entamé des
démarches de fécondation in vitro. Lisa était tombée enceinte de Bastien. Un
bébé miracle était arrivé. Lisa et Paulo étaient les plus heureux du monde.
Plus rien n’existait sinon cette bulle de bonheur. C’est à ce moment-là qu’ils
avaient décidé que Lisa se consacrerait exclusivement à leur petit garçon,
qu’un seul salaire suffirait, quitte à diminuer leur train de vie. C’était un
choix assumé. Évidemment, comme d’habitude, leurs familles n’étaient pas
vraiment de leur côté et ne les comprenaient pas. Lisa n’était pas faite pour
être mère au foyer. Elle ne pouvait pas sacrifier sa carrière. Elle commençait
à peine à décoller. Dans l’entreprise Gouni, en plein essor, elle avait
commencé comme secrétaire stagiaire pour devenir quelques années plus tard
assistante de direction. On lui faisait confiance. Elle s’était beaucoup
investie pour en arriver là. Son père était enfin fier d’elle. Dans la famille
de Lisa, la valeur travail était la plus importante, celle qui donnait sa place
en ce monde. Le reste n’avait que peu d’importance. Mais rien ni personne ne
pouvait faire changer le couple d’avis. Tous ces sacrifices, ils les
acceptaient avec plaisir. Paulo était devenu un chef de famille, celui qu’il
avait toujours rêvé d’être.
Quand Mathilde était arrivée, tout s’était un
peu compliqué. L’organisation devait être millimétrée et leur budget devenait
de plus en plus serré. Alors, pour arrondir les fins de mois, entre son travail
à la scierie et les travaux de la maison, Paulo faisait un peu de jardinage ou
de peinture chez des particuliers, les soirs ou les weekends. Il ne voulait pas
que Lisa soit obligée de reprendre le travail maintenant. Il était prêt à tout
pour cela, même à se tuer à la tâche. Le bonheur de ses enfants était sa
priorité. Il était inconcevable pour lui de les laisser en nourrice ou à la
crèche de 7 heures du matin à 6 heures du soir.
La vérité, c’est que depuis quelque temps, il
ne voyait plus beaucoup ses petits et que sa femme, il la croisait plus qu’il
ne la côtoyait. Elle était devenue une maman à plein temps. Tout tournait
autour des enfants pour elle. Elle prenait moins soin d’elle, elle s’oubliait
un peu et il le sentait, mais il trouvait ça normal. Toutes les mères
connaissent une période un peu chaotique avec des petits en bas âge.
Leur famille était malgré tout solide et leur
dévotion totale.
Mathilde encore dans ses bras commençait à se
rendormir, il n’osait pas la lâcher de peur qu’elle ne se mette à crier. Il a
versé quelques céréales supplémentaires dans le bol et a regardé Bastien pêcher
les pétales de chocolat. Son geste était précis. Il prenait soin de vider le
lait de sa petite cuillère à chaque fois sans faire tomber le pétale de blé.
Paulo s’est dit que le petit déjeuner allait
durer une éternité. C’était rare qu’il partage ce moment avec lui. En règle
générale, à 7 heures, il était déjà parti. La semaine, il embauchait à 7 h 30
à la scierie. Le weekend, à 8 heures au plus tard, il était au boulot, que ce
soit chez des particuliers ou dans son atelier pour les travaux de la maison.
Dans ses bras, Mathilde s’est endormie.
Bastien a dit :
— Thilde, dodo. Thilde là-haut lit ?
Paulo s’est dit qu’il avait raison, qu’il
fallait qu’il aille allonger Mathilde ; et puis il a renoncé, il ne
voulait pas laisser son fils seul en bas.
— Après. Tu finis de manger et on mettra
Mathilde au lit. Comme ça, toi et moi, on pourra se laver et s’habiller.
Bastien a souri et a continué son activité de
pêche aux céréales dans son large bol breton bleu et blanc, ramené par le petit
copain actuel de la mère de Lisa, sur lequel était écrit son prénom.
Au fond de lui, Paulo bouillonnait. Il avait
envie de vadrouiller dans la ville pour voir s’il apercevait Lisa, de frapper à
toutes les portes de toutes les maisons, de chercher sa voiture dans tous les
fossés, peut-être même d’appeler les gendarmes, pour qu’ils puissent l’aider à
la retrouver. Mais il voulait éviter de parler devant Bastien et Mathilde, ne
pas les inquiéter. Il devinait déjà qu’ils ressentaient ses angoisses.
Paulo a pris son téléphone et a envoyé un
texto à son patron :
« Bonjour, José, je ne peux pas venir
travailler aujourd’hui. Je t’appelle dès que possible, mais je dois m’occuper
de mes enfants. Je te tiens au courant. Vraiment désolé. »
C’était la première fois que Paulo manquait le
travail. D’habitude, même malade, il y allait. Jamais il n’était en retard non
plus. Sans lui, la journée allait être difficile, il était le seul mécanicien
et les machines vieillissantes tombaient très souvent en panne. Mais il ne
pouvait pas faire autrement. Il n’avait personne sur qui compter pour faire
garder les enfants. Et puis, il fallait qu’il retrouve Lisa, le plus vite
possible, avant que les petits ne deviennent trop nerveux, avant qu’il ne
craque lui aussi.
Il a attendu 8 heures pour parler de vive voix
à José, son patron. Il n’a pas tourné autour du pot. Il lui a déversé toute son
inquiétude, toute son impuissance. Il a répandu sa peur. José s’est montré
compréhensif et a essayé de le rassurer, de le calmer avant de conclure par :
— Prends le temps dont tu as besoin. Je
te rappelle cet après-midi pour avoir des nouvelles. Ne t’en fais pas, Lisa ne
laisserait jamais ses enfants, elle va revenir.
Cette phrase, déjà deux personnes lui avaient
dit. Victoria ce matin et maintenant José. « Lisa ne
laisserait jamais ses enfants. » Comme si elle pouvait le quitter
sans un mot, lui son premier amour, lui son compagnon de route, lui son associé
de la vie. Lui oui, c’était envisageable, mais pas les enfants. Qu’elle
l’abandonne comme ça ne choquait pas du tout les gens, non ce qui les perturbait,
c’était les enfants. Lui, il n’était plus rien, au mieux un pauvre gars qui se
retrouvait seul avec ses gamins et qui n’avait pas su garder sa femme, au pire
un suspect coupable des pires atrocités.
Vers 10 heures, Paulo est sorti de la maison avec
les enfants. Ils ont tourné en voiture en roulant doucement, dans un rayon de
vingt kilomètres autour de chez eux. Au milieu des chênes centenaires, des lacs
et des étangs, des virages larges ou serrés, des grandes routes ou des pistes
bourrées de charnières, ils se perdaient à la recherche de Lisa. Paulo scrutait
chaque recoin, chaque talus. Rien. Jusqu’à ce que Mathilde se mette à pleurer
et que Bastien lui dise :
— Faim. Mathilde biberon.
Le petit garçon se transformait en grand frère
protecteur. Il ne pensait même pas à lui, ne réclamait rien. Seul comptait le
bien-être de sa petite sœur.
Paulo lui a lancé un regard à travers le
rétroviseur intérieur, lui a souri et a répondu :
— Tu as raison, rentrons.
Sur le chemin du retour, Paulo espérait que Lisa
serait là, à la maison, qu’elle les attendrait avec une explication et qu’il la
serrerait dans ses bras sans l’écouter. Bastien a réclamé de la musique pour
calmer sa sœur. Paulo a inséré un CD de Cabrel avant d’accélérer. Les paysages
défilaient. Le petit garçon a mis en garde son père :
— Pas trop vite papa ! Attention la
route !
Lisa conduisait toujours très tranquillement,
en douceur. Il n’était pas du tout habitué à une conduite plus sportive.
Considérant le sérieux de son fils et malgré les folles circonstances, Paulo a
souri.
Devant le portail bleu de la maison, le cœur
de Paulo s’est accéléré. Il était tout à coup plein d’espoir. La perspective de
voir Lisa sur le pas de la porte lui remplissait le cœur. Mais personne ne les
attendait.
À partir de ce moment-là, tout s’est effondré.
Paulo a eu l’intense intuition que Lisa ne reviendrait pas, que quelque chose
de tragique s’était produit. Alors, il a tout fait pour ne plus avoir le temps
de réfléchir. Faire à manger, s’occuper de Mathilde, ranger un peu, coucher les
enfants et puis entre deux actions, chercher une trace, un indice. Il oscillait
entre inquiétude et colère. Il n’était plus maître de lui-même.
L’après-midi, Paulo a reçu beaucoup d’appels :
José, Mounia, Victoria, mais aussi des gens perdus de vue depuis un certain
temps. La nouvelle de la disparition de Lisa s’était déjà répandue comme une
trainée de poudre. Les copines de Lisa étaient de vraies commères.
La fin de cette journée sordide, Paulo l’a
passée avec ses deux enfants à la gendarmerie.
— Ma femme a disparu, a-t-il lancé à la
jeune femme postée au bureau d’accueil.
— Asseyez-vous, un collègue va vous
recevoir, lui a-t-elle répondu en regardant avec insistance ses deux petits.
Paulo a baissé les yeux. Il allait être obligé
de parler de tout ça devant eux. Et, à première vue, la jeune gendarme
pressentait que ce n’était pas vraiment une bonne idée. Son regard le mettait
mal à l’aise, le rendant déjà coupable.
— Vous voulez qu’on appelle un proche
pour les garder ? lui a-t-elle demandé en se levant de sa chaise.
Devant son silence, elle a insisté :
— Vous savez, ce n’est pas vraiment un
lieu pour des enfants et puis il y a des sujets délicats à aborder dans ce
genre de situation. Croyez-en mon expérience, nous les adultes pensons qu’ils
ne comprennent pas, mais la réalité est tout autre… Il y a bien quelqu’un ?
Paulo n’avait pas vraiment le choix… Il n’y
avait qu’une personne sur place, disponible immédiatement. La perspective de la
contacter le paniquait déjà… Il la savait tellement émotive. Son enfance et son
statut de fille illégitime cachée l’avait toujours hantée. Mais il a pris son
téléphone et il a appelé Annie, sa mère.
En moins de quinze minutes, elle arrivait dans
le hall du bâtiment de la gendarmerie en claquant brusquement la porte.
— Bon sang, mais que se passe-t-il ?
a-t-elle hurlé sans même prendre le temps de saluer qui que ce soit, à part les
enfants.
— Où est Lisa ? a-t-elle crié à
nouveau.
— Calmez-vous madame. Ne vous inquiétez
pas. La priorité à l’heure actuelle est de prendre en charge vos
petits-enfants. Nous avons besoin de prendre un moment avec monsieur. Vous
aurez tout le temps de parler de tout ça après et surtout, il faut éviter de
vous mettre dans de tels états devant eux… a dit la gendarme en appuyant son
regard vers Bastien.
— Madame, ça va aller ? Nous pouvons
compter sur vous ? a-t-elle insisté.
Annie a hoché la tête en lançant un regard
assassin à son fils. Les craintes de Paulo se confirmaient. Elle serait plus un
poids qu’une aide dans cette situation. Comme d’habitude, sa nervosité gâchait
tout. Pourtant, avec les enfants, Annie avait toujours été formidable et ne
demandait qu’à s’en occuper davantage. Pour eux, elle savait laisser ses
problèmes de côté et leur offrir joie et amour, en toute circonstance.
Elle a pris le cosy avec Mathilde et a demandé
à Bastien de la suivre. Il a pleuré un peu, s’est caché derrière les jambes de
son père. Paulo s’est mis à sa hauteur pour lui expliquer que ce ne serait pas
long, qu’il rentrait avec sa grand-mère à la maison et qu’il arrivait. Le petit
a fini par céder.
— Bon, fais vite, j’aimerais bien savoir
ce qu’il se passe ! a lancé Annie avant de fermer la porte derrière elle.
Paulo a regardé ses enfants s’éloigner avant
de rentrer dans le bureau du gendarme. Ce dernier l’a invité à s’asseoir, a
croisé les mains sur son bureau et lui a demandé :
— Bon, monsieur, qu’est-ce qui vous amène ?
— Ma femme, Lisa Belin, a disparu depuis
cette nuit. J’ai cherché partout. Pas la moindre trace d’elle. Elle nous a
laissés, moi et les enfants.
Le gendarme a tout de suite enchainé avec des
questions ciblées : adresse exacte, âges des enfants, habitudes de sortie,
amis… Et puis, Paulo est entré dans les détails. Il a informé que toutes ses
affaires étaient là, que son téléphone aussi, qu’il n’y avait plus sa voiture…
Au bout d’un entretien de plus d’une heure, le
gendarme a fini par lui annoncer qu’il qualifiait cette disparition comme
inquiétante et qu’il ouvrait une enquête administrative. Paulo s’est demandé si
cette nouvelle était rassurante ou menaçante.
Après lui avoir fait dresser une liste de
proches que Lisa côtoyait et de lieux qu’elle fréquentait, l’officier lui a
demandé de lui dérouler le fil des évènements de la nuit précédant sa
disparition. Puis, il a assuré qu’il le tiendrait au courant et qu’il le
recontacterait dès le lendemain. Évidemment, il devait en faire de même de son
côté et le prévenir si elle revenait.
Paulo est rentré le cœur serré à la maison. Sa
mère l’attendait. Bastien jouait avec son camion de pompiers dans le salon.
Mathilde était dans son transat. Tout semblait normal, tout sauf l’absence de
Lisa.
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