Les plus belles choses vivent à l'intérieur- Roman- Dès le 12 novembre 2020

 

LES PLUS BELLES CHOSES VIVENT à L’INTÉRIEUR
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Sommaire de l'article :

Descriptif du roman
Les lieux
Les musiques
Les retours de lecteurs
Les trois premiers chapitres
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Et si un simple retard pouvait tout changer ? Et si, pour trouver le chemin du bonheur, il fallait simplement regarder à l’intérieur en osant affronter ses propres vérités et celles des autres ?






Hugo, la trentaine, est prêt à tout pour plaire à sa femme Anastasia, même à sacrifier ses rêves et ses valeurs profondes. De fil en aiguille, il s’est glissé dans la peau d’un autre et endosse un costume de jeune cadre dynamique plein d’ambition et assoiffé de reconnaissance sociale. Complètement dans son rôle, il ne se doute pas que le retard de son collègue Gary va tout bouleverser.

Obligé de lâcher prise et de prendre du recul sur sa vie citadine, Hugo se lance dans un étonnant voyage qui l’amènera à la découverte de lui-même et de ses proches. De Lyon à Annecy, en passant par les hauts sommets alpins jusqu’à la trépidante Barcelone, plongez avec lui dans une tranche de vie qui ne le laissera pas indemne...et où il devra affronter toutes ses vérités.


« Tout le monde a un rêve, même moi. Caché au fin fond de ma mémoire, au milieu de mes souvenirs d’enfance, il est là, il attend. Gendarme, pompier ou footballeur pour les autres. Moi, c’était guide de haute montagne. 

J’ai tout fait pour faire taire ce rêve de gosse, pour l’oublier. Pourtant, il était tout à fait à ma portée, j’avais toujours été un véritable sportif. Je ne faisais pas partie de ceux qui regardent les matchs, mais plutôt de ceux qui jouent, avec toutes leurs tripes, tout au bout d’eux-mêmes. 

J’ai fait comme beaucoup. Ce rêve, je l’ai remplacé par un autre, plus conforme à ce qu’on attendait de moi. Quand je dis « on », je parle de ma femme, de ma belle-famille, de la société. Je me suis persuadé que je vivais pour avoir des quantités de choses, en d’autres termes un paquet de pognon, alors que tout ce que je voulais c’était juste grimper au-dessus de la mer de nuages, l’horizon comme destination.»


Les lieux du roman :

Un road trip de Lyon à Annecy, en passant par les hauts sommets alpins jusqu’à la trépidante Barcelone, plongez avec Hugo et ses proches dans une tranche de vie qui ne le laissera pas indemne...et où il devra affronter toutes ses vérités.


Le Vieux-Lyon




Annecy




Les cinq lacs de Forclaz


Bourg Saint Maurice

La trépidante Barcelone

Le parc Güell et les merveilles de l'architecte catalan Antoni Gaudí

                                                    Les musiques du roman :


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Bob Dylan - Hurricane

Les retours de lecteurs...

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Le début du roman...

Les plus belles choses vivent à l’intérieur

 

Roman

 

 

 

 

Céline Fuentès


 

Date de sortie :26 Novembre 2020 en papier, 12 novembre 2020 en numérique

ISBN-13 : 9798681330165

Nombre de pages de la version papier : 330

Dépôt légal : 2020

 

© Fuentès Céline, 2020

« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. »


 

 

 

Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé à l’âge adulte…

Sigmund Freud


 

 

 

 

À tous ceux qui ont croisé ma route entre Bourg Saint Maurice et Annecy : Eloy, Philippe, Mélanie, Sophie, Saïd, Elsa et les autres… Les moments partagés nous lient à jamais…

Et à tous ceux qui ont un rêve au fond du cœur…

 

 

 

Remerciements :

Je remercie sincèrement tous ceux qui ont rendu l’écriture de ce livre possible en gardant mon fils Léo quelques heures : ma maman Brigitte, ma belle-mère Catherine, mon mari Sanka et tout le personnel de la crèche d’Egletons. Écrire un roman avec un petit en bas âge n’est pas chose aisée, mais me prouve que tout est possible. Cet ouvrage est pour moi le livre de l’effort et du plaisir.

Je tiens aussi à remercier tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce livre en le relisant, en le corrigeant, en participant à la création de la couverture ou encore en le mettant en page : Gérard Piot, Brigitte Millot, Loïc Dacquay, Sylvie Millot, Serge Fuentès, Jeanne Sélène pour la mise en page, les membres du Club des indés et toutes les personnes qui me suivent activement sur les réseaux sociaux.

Enfin, j’adresse une pensée particulière à mon grand-père Pascal Fuentes, parti cet été, et lui dédicace le titre de ce roman : Les plus belles choses vivent à l’intérieur. Ces mots que j’ai prononcés le jour de ses funérailles et qui résonnent en moi comme une ode au temps qui passe.


Chapitre un

Tout le monde a un rêve, même moi. Caché au fin fond de ma mémoire, au milieu de mes souvenirs d’enfance, il est là, il attend. Gendarme, pompier ou footballeur pour les autres. Moi, c’était guide de haute montagne.

Tutoyer les sommets, conduire les novices sur ces improbables arêtes de la liberté, croiser les bouquetins et les marmottes, humer l’odeur du vin chaud, passer du temps avec les amoureux des vallées entre rafting, parapente, ski ou randonnées. Et surtout marcher, marcher à m’en étouffer, toujours plus loin, toujours plus haut, au-dessus de tout. Sur un mur de ma chambre d’adolescent, il y a très longtemps, j’avais écrit « Du Pur » en gros, en énorme. De la pureté dans ma vie, voilà ce que je voulais.

J’ai tout fait pour oublier ce rêve de gosse. Pourtant, il était à ma portée, j’avais toujours été un véritable sportif. Je ne faisais pas partie de ceux qui regardent les matchs, mais plutôt de ceux qui jouent, avec toutes leurs tripes, tout au bout d’eux-mêmes.

J’ai fait comme beaucoup. Ce rêve, je l’ai remplacé par un autre, plus conforme à ce qu’on attendait de moi. Quand je dis « on », je parle de ma femme, de ma belle-famille, de la société. Je me suis persuadé que je vivais pour avoir des quantités de choses, en d’autres termes un paquet de pognon, alors que tout ce que je voulais c’était juste grimper au-dessus de la mer de nuages, l’horizon comme destination.

Pendant de longues années, j’ai construit ma vie sur cette fausse image de la réussite : l’argent et le statut social. Nous devons être des millions dans ce cas-là. Je n’avais qu’une idée en tête : encore plus de monnaie, encore plus de pouvoir. Mon ambition était si puissante qu’elle avait tout balayé sur son passage. Je n’avais plus vraiment d’amis sincères et je ne voyais presque plus ma famille, enfin ce qu’il en restait… seulement un frère, Jimmy.

La nature, je la regardais à la télévision, emprisonnée dans une boite à images, qui, au fil des ans, avait gagné en définition. Du petit poste d’occasion, j’étais arrivé à l’écran plat connecté qui meublait une bonne partie du salon, sans compter la box, la barre de sons, les lunettes 3D et autres gadgets associés de plus en plus nombreux et variés.

J’avais basé mon plan de carrière sur une ascension lente, mais savamment réfléchie. Relativement jeune, je m’étais fait embaucher dans une entreprise en pleine expansion et sans rien dire, j’avais gravi les échelons jusqu’à devenir le numéro quatre de la boite. Directeur financier, c’était déjà une belle victoire. Au départ, je n’étais qu’un simple expert-comptable, mais c’était là que reposait toute ma force. Je calculais tout, tout le temps, et j’étais l’homme à consulter quand il s’agissait de parler de profit, d’investissement ou de rentabilité.

J’avais aussi appris à être très patient, grâce à Anastasia, ma femme, et, sans piston, je savais que mon escalade vers le pouvoir serait escarpée. Pourtant, je gardais toute ma motivation. La suite de mon plan était limpide. J’attendais que Nadine parte à la retraite pour devenir le numéro trois, autrement dit le deuxième adjoint du patron, juste derrière mon pote Steph. Puis, quand mes tempes auraient suffisamment blanchi, je prendrais peut-être sa place, au Directeur général, à force de courage et d’abnégation.

Mais depuis qu’ils avaient embauché Gary, tout s’enlisait. Il allait me voler le poste de Nadine. Je voyais clair dans son jeu. Mon futur succès allait m’échapper. Je me sentais comme un skieur débutant sur une piste rouge. Le chasse-neige étant la seule option pour en sortir indemne.

Au vu de ses diplômes, Gary n’avait pas été recruté en tant qu’assistant, mais comme directeur financier adjoint. Ça faisait six mois qu’on me l’avait collé dans les pattes. Avant, j’étais tranquille. Je gérais le service comme je l’entendais. C’est vrai, ce n’était pas tous les jours facile, j’étais surchargé, j’avais du mal à m’en sortir. Ils l’avaient engagé pour me soulager. Au début, j’étais plutôt content, mais ça n’a pas duré…

Gary n’était jamais en retard, ne demandait en aucun cas de délais pour traiter ses dossiers, classait toujours tout, par ordre alphabétique, et son bureau était aussi rangé que le mien était en bazar. D’apparence, il était le collègue parfait que tout le monde aimerait avoir à ses côtés. Je ne courrais plus après le temps, tout était simple et organisé au millimètre près.

Pourtant, la lune de miel n’a pas duré plus de quinze jours. Assez rapidement, il a commencé à me faire sentir que je faisais mal mon boulot. Des remarques, des petites piques disséminées çà et là. Il n’en loupait pas une. Si j’avais le malheur de faire une erreur, même minime, il s’en servait pour se faire bien voir par la hiérarchie. Du coup, le directeur général s’était mis à ne jurer que par lui. Gary ci, Gary ça. Moi, en l’espace de quelques semaines, je suis passé aux oubliettes. Mon moral en a pris un coup. Petit à petit, tout s’est assombri. De manière insidieuse, il a pris ma place et je suis devenu un fantôme. Je me suis battu quelque temps et puis je me suis mis à longer les murs et à me recroqueviller derrière mes livres de comptes. Je ne me reconnaissais plus. Envolée mon assurance, disparue ma motivation…

Heureusement, il me restait Charlène, la petite de l’accueil, et mes potes de la machine à café, Steph et Norbert. Avec eux, je retrouvais le sourire l’espace d’un instant. J’avais cette chance d’avoir ce noyau dur, ces gars qui avaient commencé à travailler dans l’entreprise en même temps que moi. Nous étions aujourd’hui des anciens et les nouveaux nous craignaient un peu. La place de numéro deux de Steph, la force de frappe oratoire de Norbert, mon statut de directeur financier et notre amitié inébranlable nous rendaient intouchables. Il valait mieux être nos amis plutôt que nos ennemis, et ça, tous les employés l’avaient bien compris. Tous, sauf Gary.

Par vengeance certainement, ou par minable jalousie, j’ai tout fait pour que les autres le détestent et que sa vie au bureau devienne un enfer. Je n’avais plus que cette solution pour le faire partir. La confiance que le DG lui accordait déjà ne rendait pas l’option licenciement possible. J’étais devenu maître dans l’art de faire circuler des rumeurs sur son compte. J’avais plus d’un tour dans ma poche et je n’étais pas prêt à me faire démasquer. C’était à la machine à café que j’avançais mes pions à la manière du grand joueur d’échecs que j’avais toujours été. Pour mettre mes potes de mon côté, il ne m’avait pas fallu beaucoup de temps et puis Charlène avait suivi le mouvement. L’accueil était une place stratégique à ne pas négliger. Bientôt, toutes ses copines, réparties dans tous les services, avaient mis du cœur à l’ouvrage et les rumeurs avaient grossi jusqu’à devenir des torrents de méchanceté qui finiraient par ensevelir Gary, j’en étais certain.

 Je n’étais pas vraiment fier de mes manœuvres, mais Gary paraissait être un arriviste assoiffé de pouvoir et il ne voulait à première vue qu’une seule chose : me piquer ma place. Du coup, c’était de bonne guerre et mes batailles étaient toutes couronnées de victoire. Le seul allié qu’il lui restait était le DG qui n’avait pas le temps d’écouter les cancans et qui surtout avait une sainte horreur des conflits. Enfermé dans son bureau de ministre, il ne s’encombrait d’aucune discussion superficielle qui aurait pu sortir du cadre professionnel. J’avais pensé à livrer quelques attaques sur son travail, mais Gary était méticuleux et irréprochable. L’action de sape par le bas était le meilleur moyen d’arriver à mes fins.

 Rigoler de Gary était devenu un rituel autour de la machine à café. Norbert avait fini par le baptiser La Pince, ce qui me convenait parfaitement. Il avait commencé à le traiter de radin quand je lui avais dit qu’il ne participait jamais aux collectes pour une naissance ou un anniversaire. C’était simple pour moi, car c’était Charlène qui s’en occupait et qui me demandait toujours de gérer pour le service financier. Il me suffisait de ne pas en parler à Gary et l’affaire était dans le sac. En plus, de temps en temps, il nous taxait des clopes. Je savais qu’il essayait d’arrêter de fumer et ne voulait plus acheter de paquets. Du coup, jamais il ne nous les rendait… À chaque fois, je le faisais remarquer à Norbert et le surnom était arrivé vite, très vite. Grâce à son côté très sérieux, il m’avait été facile de le faire passer pour un type austère et particulièrement désagréable. Après, les filles l’avaient jugé mal fagoté et l’avaient dépeint comme un gars toujours cerné de fatigue. L’estime que le boss lui conférait m’avait aidé à le faire considérer comme un fayot de première. Il ne me restait plus qu’à balancer des ragots de temps en temps. Je n’avais plus trop d’efforts à fournir. La plupart des employés se chargeaient désormais de faire le boulot à ma place. Le rôle du bouc émissaire, ils le préféraient pour lui plutôt que pour eux. Tout le monde était content. Le problème était que jusqu’à présent, Gary n’avait pas eu l’air de se sentir si mal que ça devant ces regards infects et ces jacassements de bas étage. Le type était coriace et je n’étais pas sorti de l’auberge…

Écouter les moqueries de Norbert à propos de Gary me remontait le moral, mais pas longtemps. Parce que les autres, ils le croisaient, mais moi, c’était huit heures par jour que je devais le supporter… Et la vérité, c’était que je ne voyais pas le bout du tunnel. Je n’avais jamais été un gars mauvais et c’était bien la première fois que je me livrais à de tels agissements pour parvenir à mes fins. Je me trouvais des excuses en me disant que je n’avais pas galéré tant d’années pour me faire coiffer au poteau par un sombre inconnu, mais il ne fallait pas que ça dure trop longtemps. Je ne croyais pas au karma, mais j’avais reçu une bonne éducation basée sur des valeurs chrétiennes, même si dans la famille personne n’était pratiquant. J’avais l’impression de trahir mes parents, de rayer tous les efforts qu’ils avaient mis dans mon instruction. Si je ne gagnais pas cette guerre très rapidement, je savais que j’y laisserais des plumes, beaucoup de plumes.

Mais ce matin-là, pour la première fois depuis six mois, Gary était en retard. Pour moi, c’était une aubaine, quelque chose à mettre sous la dent du patron et l’occasion inespérée de reprendre enfin, même quelques courts moments, mes marques. Je jubilais en répondant aux nombreux appels du lundi :

— Non, Gary n’est pas là aujourd’hui. Laissez-moi gérer votre problème.

Je retrouvais mon grade, mon pouvoir, mon univers. Celui que j’avais perdu quand cet enfoiré avait fait irruption dans ma vie. Je respirais, j’étais bien, enfin… Je me prenais même à rêver : et s’il ne revenait plus, et s’il avait trouvé un nouveau poste, et si…

Il devait être presque midi quand Charlène m’a téléphoné pour m’annoncer la nouvelle :

— Hugo, c’est Charlène. Ça va ?

— Tu m’étonnes, je revis. J’ai récupéré mon espace, mon bureau, ma vie quoi !

— Hugo, j’ai une mauvaise nouvelle…

— Ah ?

— Gary est décédé ce weekend. On vient de l’apprendre. Le DG m’a demandé de te prévenir et de m’occuper de la collecte pour acheter une plaque au nom de l’entreprise, en notre nom à tous. Il tient à ce que nous soyons à l’enterrement qui est prévu demain à neuf heures à l’église. Je lui dis que c’est d’accord ?

— Charlène, je ne sais pas. C’est triste, mais je ne le portais pas dans mon cœur… Alors, aller à l’enterrement. Je ne me sens pas très légitime, tu vois…

— Marc, le DG y tient.

— D’accord, dis-lui que j’en serai. Je passerai te donner ma participation dans la matinée.

Gary était mort. Je ne savais pas comment d’ailleurs. Je ne m’y attendais pas. Un court instant, je me suis senti soulagé de n’avoir plus jamais à travailler avec lui… Et puis, vite, je me suis repris, c’était affreux d’avoir de telles pensées. Je m’en suis voulu, un peu. J’ai regardé son bureau bien rangé et je suis sorti. Jusqu’au bout, il m’aurait mis le bourdon, le moral à zéro…

 Au fond du couloir, j’ai aperçu Norbert et Steph, en grande discussion, autour de la machine à café. Dès que je suis arrivé, Norbert m’a interrogé, peut-être par curiosité mal placée :

— Alors Hugo, tu sais comment il est mort Gary ?

— Non, je ne sais pas. Peut-être un accident ? Il était fatigué vendredi, mais c’était habituel cette fatigue chez lui…

— Peut-être qu’il était malade ? a demandé Steph en se tournant vers moi.

Je n’ai pas eu le temps de répondre que non, que je n’en savais rien, que Norbert en a rajouté et que je me suis senti encore plus mal :

— Tu te rends compte, il était sans doute malade à en crever, un cancer peut-être, et toi, tu te foutais de lui parce qu’il était tout le temps claqué… Imagine… Si ça se trouve, il n’avait plus un radis parce qu’il s’était endetté jusqu’au cou pour payer ses frais médicaux… Et toi, son collègue, tu ne savais même pas dans l’état où il était et maintenant il est mort… Hugo, ça craint…

— Stop, a coupé Steph. S’il avait été malade, on l’aurait su et puis Hugo n’a rien à se reprocher. Personne ne pouvait le voir, Gary, sauf le boss. D’ailleurs, tu as participé à la collecte ? Moi, j’ai filé un billet de dix euros. Je ne me voyais pas donner plus pour cette pince !

— J’ai donné vingt euros. Je suis navré pour lui, mais quand même, soyons francs, je ne pouvais pas me le blairer, je ne vais pas faire semblant. Je me sens un peu hypocrite d’aller à son enterrement.

— On comprend, qui pouvait apprécier ce type ? Mais bon, c’est toi qui bossais avec lui, pas nous. C’est normal que le DG et toi y alliez et puis ça te fera un moment en tête à tête avec le patron… C’est toujours bon à prendre…

— Non, il emmène Charlène et Clarisse aussi.

— Ah ben tiens, a dit Norbert, évidemment qu’il emmène sa petite secrétaire de Clarisse, experte en promotion canapé. Tu verras, bientôt elle te piquera ton poste de DG adjoint Steph !

— Arrête tes conneries mec, c’est pas le jour et puis Clarisse n’a pas les épaules !

— Elle n’a peut-être pas les épaules mais elle a autre chose, a lancé Norbert en ricanant.

Avec les gars, on s’marrait bien à la machine à café. Au moins deux ou trois fois par jour, on se réunissait pour rigoler un coup. Faut dire que des ragots au bureau, il y en avait à la pelle. Et puis Norbert, quel numéro, il avait donné un surnom à presque tous nos collaborateurs. Clarisse c’était La Marie pour La-Marie-couche-toi-là. Gary c’était La Pince évidemment. Charlène c’était La Minette parce que Charlène c’était la plus belle et la plus douce. Tous les mecs avaient le béguin pour elle. Avec Norbert, il fallait juste ne pas être trop susceptible et avoir une bonne répartie. Steph et moi, c’était notre cas, alors Norbert était devenu notre pote, même si à l’inverse de nous, il n’avait aucune ambition. Bien au contraire, ce qu’il voulait, c’était en faire le moins possible. Les responsabilités, très peu pour lui. Il travaillait pour vivre. Steph et moi, on vivait pour travailler.

— Hugo, a lancé le DG derrière la porte. Tu viens, on va rassembler les affaires de Gary pour les remettre à sa famille.

— Rassembler ses affaires mais il n’avait rien. Pas une photo, pas un truc perso. Y’a rien à rassembler.

— Bon, très bien, sois au bureau à huit heures trente précises demain. On ira ensemble à l’enterrement.

Norbert, Steph et moi, nous sommes partis manger à la Cantine. C’était notre petit resto, à trois cents mètres du boulot. On y allait à pied. Norbert en profitait pour lorgner les nanas et nous, on se bidonnait à le regarder faire. Ce jour-là, on a fait comme d’habitude, comme si rien ne s’était passé et que nous n’avions pas appris la mort soudaine d’un collègue quelques heures plus tôt. La vérité, c’est qu’on s’en cognait du Gary, voilà. On s’est rempli le bide pendant que Norbert se foutait de la tronche de la moitié de la clientèle, comme d’habitude…

Quand j’ai repris ma place derrière mon bureau, j’étais plein d’espoir. Le patron allait peut-être contacter la jolie Julie qui avait postulé en même temps que Gary mais qui n’avait pas été retenue. Elle avait l’air aimable. Bien sûr, j’aimais ma femme, Anastasia, mais rien ne m’empêchait de regarder le menu ! Julie était un vrai canon ! Norbert serait fou de jalousie. Ce serait un juste retour des choses, après avoir galéré six mois avec La Pince… De toute façon, avec la tonne de boulot qu’il y avait, le recrutement ne tarderait pas et je serais bientôt fixé. Et puis, dans tous les cas, j’avais maintenant le champ libre pour monter en grade et rejoindre la place de deuxième adjoint… La poste de numéro trois qui me revenait, une fois que Nadine serait partie. Il n’y en avait plus pour très longtemps, un an tout au plus.

L’après-midi s’est déroulée le plus sereinement possible, sans l’œil inquisiteur de Gary sur moi. Plus de stress, plus de lourdeur. C’était terrible à avouer mais je crois bien que je passais ma meilleure journée depuis un sacré bout de temps. Mon avenir s’éclairait enfin. Par politesse, certains collègues passaient me voir pour me lancer des :

— Désolé Hugo. Ce n’est jamais facile de perdre un collaborateur. Courage.

Je prenais un air un peu triste mais rassurant :

    Merci pour ton soutien. Ça va aller, ne t’inquiète pas.

Même si vraiment je le détestais, je devais bien avouer que ça me faisait un petit quelque chose, tout au fond de moi. Je pense que ça me rappelait la mort soudaine de mes parents quelques années en arrière. Cette disparition tragique, comme ça, d’un coup. Cet accident que rien ni personne n’aurait pu prévoir. À l’époque, je m’étais déjà bien éloigné d’eux et si leur disparition m’avait fait un choc, je n’avais pas ressenti un vide intense. Ils ne faisaient plus partie de mon quotidien. Et puis, surtout, j’avais tout fait pour ne plus y penser en évitant encore plus de retourner chez moi, à Bourg Saint Maurice. Je n’y avais pas mis les pieds depuis les funérailles et j’avais laissé à mon jeune frère Jimmy le soin de s’occuper de leurs affaires et de la maison familiale. Je prenais des nouvelles de temps à autre, sans rentrer dans les détails. De toute façon, lui et moi, nous n’avions rien en commun.

Vers dix-huit heures, j’ai garé ma berline sur mon parking. Anastasia était déjà rentrée. C’était plutôt rare. En général, elle n’était jamais à la maison avant dix-neuf heures, voire vingt ou vingt et une heures. Souvent, elle avait des repas d’affaire dans le Vieux Lyon jusqu’à tard le soir. Elle et moi, nous étions de la même veine. Nous voulions réussir, coûte que coûte. Peut-être elle encore davantage. Moi, si je devais être tout à fait sincère, ma réelle motivation se situait ailleurs. Dans le regard d’Anastasia. Ce que je souhaitais le plus, c’était qu’elle m’admire, que ses yeux soient toujours emplis de désir. Mais depuis quelque temps, depuis mes déconvenues au boulot avec l’arrivée de Gary, j’étais devenu un peu déprimé et elle, elle ne pouvait pas le supporter. Anastasia me reprochait de me laisser faire, de me laisser aller sans me battre vraiment.

— La vie n’est pas un jeu, c’est une guerre et tu as devant toi une belle bataille. Tu ne vas pas capituler pour un gars qui débarque comme ça et te vole tous tes espoirs de réussite. Ta carrière, c’est toi qui l’as construite. Du cran et de l’huile de coude, voilà ce qu’il te manque en ce moment.

J’avais beau lui expliquer que je faisais tout pour garder ma place et sauver ma relation avec le DG, elle trouvait toujours à redire quant à mes méthodes et à mes diverses tentatives plus ou moins honnêtes afin de redresser la barre en ma faveur. Alors, au fil du temps, je ne lui en parlais plus. Parfois, elle me posait des questions mais je restais vague. J’essayais de lui faire croire que ça s’arrangeait mais elle n’était pas dupe, elle me connaissait trop et n’avait pas besoin de longues discussions pour se rendre compte que je devenais un homme bancal, plus du tout celui qu’elle aimait.

Du coup, ce soir, je sentais que j’avais récupéré ma place au boulot et, par effet de rebond, que ma femme allait me revenir aussi. Je voulais que notre relation avance, que nous construisions enfin cette famille dont nous rêvions adolescents.

J’ai accroché ma veste sur le portemanteau et l’ai embrassée, du mieux possible, pendant qu’elle remuait le contenu de la poêle qui sentait plutôt bon. Anastasia ne cuisinait pas souvent mais elle cuisinait bien. Savoir recevoir avait été l’une des priorités éducatives de sa mère. Dresser une belle table, mettre à l’aise les convives, converser avec chacun d’entre eux en leur apportant une écoute appuyée, même si tout ce qui était dit était aussitôt oublié… Dans tous les cas, la dernière fois qu’elle avait pris le temps de nous préparer un repas remontait à un certain temps, d’ailleurs, j’avais peine à m’en souvenir. Mais ce soir, comme si le destin avait enfin décidé de nous réunir, elle se tenait là, gracieuse, belle, attirante et déterminée à nous offrir un petit moment intime.

— Pour une surprise, c’est une surprise ! Je ne pensais pas que tu serais rentrée si tôt !

— T’as oublié ! J’en étais sûre ! Tu sais quel jour on est au moins ?

— Oh ! Je suis impardonnable… Notre anniversaire de rencontre…

— Ben voilà… Je l’aurais parié… Hugo, t’es vraiment ailleurs. Je ne te reconnais plus depuis quelque temps…

Elle a baissé la tête et s’est concentrée à nouveau sur sa marmite, l’air déçu mais pas trop, comme si elle s’y attendait, comme si tout était foutu, comme si elle n’y croyait plus et qu’elle avait tenté une dernière fois quelque chose pour ne rien avoir à regretter.

Je me suis approché d’elle, par derrière, je l’ai enlacée avec tendresse. L’étreinte n’a duré que quelques secondes, à peine. D’un mouvement brusque, elle m’a repoussé.

— Excuse-moi ma chérie. Je suis désolé mais il s’est passé un truc grave. Mon collègue, Gary, tu sais ?

— Oui, celui qui voulait te piquer ta place, La pince.

— Ben il est mort.

— Et tu ne vas pas te servir de ça pour expliquer ton oubli inexcusable ! Arrête un peu, tu ne pouvais pas le blairer ! Peut-être même que tu es soulagé qu’il ait définitivement disparu de ta vie, tel que je te connais ! Ce type, c’était un obstacle pour toi. T’étais devenu complètement déprimé depuis qu’il bossait avec toi. Ne me fais pas croire que tu es triste ! Arrête, ça suffit !

Elle a hurlé la dernière phrase avec une voix puissante et claire, dans un souffle bruyant. J’ai essayé de m’approcher à nouveau mais le mal était fait. Elle a éteint le gaz, a enfilé ses chaussures et a disparu en claquant la porte.

Je n’ai rien fait pour la rattraper, pas par manque d’envie mais parce que je savais que ça ne servait à rien. Anastasia était une sanguine et il valait mieux que l’orage passe avant de tenter toute nouvelle discussion.

Je me suis assis sur le canapé et j’ai attendu. Le moment de lui suggérer d’agrandir notre famille était encore une fois repoussé…

 

 


 

Chapitre deux

Le réveil de mon téléphone m’a sorti de mes mauvais rêves. J’avais mal au dos. Le canapé était correct pour regarder un film le soir, mais pas pour dormir. Il était ferme. En aucun cas, il n’était fait pour s’avachir. Si ce n’avait tenu qu’à moi, j’aurais plutôt opté pour un sofa bien moelleux, très large, dans lequel j’aurais pu me laisser aller au confort plutôt qu’une assise si dure que le seul choix possible est de se tenir bien droit, comme un i qui n’en finit plus de maintenir son petit point en équilibre parfait au-dessus de sa tête.

Anastasia était rentrée tard. Je l’avais entendue, mais je n’avais pas bougé. Sur la pointe des pieds, elle s’était faufilée jusqu’à notre chambre. Depuis quelque temps, on en était là, à éviter de se croiser pour différer les affrontements, à se retrouver un peu plus tard en faisant comme si rien ne s’était passé. Nous savions tous les deux que la politique de l’autruche ne pourrait durer qu’un temps, mais pour l’instant, nous étions deux funambules encore sur notre fil.

Là, je l’écoutais s’affairer dans la cuisine. L’odeur du café m’attirait, mais je préférais sortir des méandres brumeux de ma nuit agitée avant de me risquer à la rejoindre. Quand je me suis approché, d’un signe de la main, Anastasia m’a fait comprendre qu’il était inutile que je tente une étreinte. Elle a mis son manteau rouge, a pris son sac et s’est volatilisée derrière la porte.

Je n’ai rien fait pour la retenir. Comme toujours. Je n’étais pas un homme démonstratif, je ne l’avais jamais été. Montrer mes émotions aurait été pour moi l’aveu de toutes mes faiblesses et ça, ce n’était pas possible, même devant ma femme. Ce qu’elle aimait chez moi, c’était ma poigne, mon assurance, mon statut. Ce côté homme d’affaire, gendre idéal, bien sous tous rapports.

Je n’ai pas trainé à la maison. Ressasser notre dispute n’aurait rien arrangé. Ce soir, je rattraperai le coup avec un joli bouquet et un diner en tête à tête au restaurant. Et puis, ce qu’il fallait maintenant, c’était regagner la confiance du patron, lui montrer qu’il pouvait compter sur moi, que j’étais redevenu le battant qui travaillait à ses côtés depuis tant d’années.

À huit heures trente précises, j’étais sur le parking de l’entreprise. J’avais la mine blafarde à la perspective de ce qui m’attendait. Aller à l’enterrement de mon collègue par obligation me dépitait. Tout ça pour faire plaisir à mon boss… En plus, il serait certainement impossible de passer inaperçu, on serait quoi, quatre pelés et deux tondus ? Gary était tellement détestable. Pourtant, peut-être que des gens l’aimaient malgré tout ? Sa mère peut-être ? Tous les hommes ont une mère qui aime leur enfant. Elle serait là et aurait de la peine. Une sœur ? Un oncle perdu de vue ? Un ami ? Gary avait-il au moins un ami ?

— Bonjour Hugo, monte, on y va, m’a lancé le DG au volant de sa Mercedes rutilante.

Clarisse était à la place du mort. Avec sa jupe ras les fesses et son chignon bien serré, le patron n’était pas indifférent. De temps à autre, il ne pouvait s’empêcher de laisser glisser son regard vers les cuisses de son assistante-favorite. Charlène, conviée pour des raisons pratiques puisqu’elle avait été assignée à la collecte, est arrivée au pas de course et s’est installée à ma droite. Tous les deux, nous n’avons pas dit un mot durant le trajet, un peu gênés d’être les témoins de cette scène… Le patron et la secrétaire… Quel cliché désastreux ! C’était peut-être pour casser cette atmosphère un peu vulgaire que le DG m’a dit :

— Hugo, je sais que ce n’est pas facile de perdre un collègue, surtout de manière si soudaine. Un accident. C’est tellement bête. Gary était un homme de valeur, travailleur et honnête, et personne ne pourra le remplacer. Je partage ta douleur. Mais pour t’enlever une épine du pied, sache que j’ai recruté Julie, tu sais, celle qui avait postulé en même temps que Gary. On verra bien si elle fera l’affaire. Dans tous les cas, ça te soulagera. Elle commence demain. Voilà, maintenant, tu dois être rassuré. Tu prendras quelques jours de congé aussi. Une semaine me paraît le minimum, mais si tu as besoin de plus, nous comprendrons. Prends tout le temps dont tu as besoin.

— Merci, ai-je répondu d’un ton grave, comme si la mort de Gary me touchait au plus haut point.

Je me retrouvais donc mis à pied pour une semaine sans l’avoir demandé et surtout sans en avoir envie, mais il n’était pas l’heure pour moi de contredire mon supérieur. Passer pour un homme sans cœur n’était pas une stratégie gagnante. J’en profiterai pour resserrer les liens avec ma femme, réparer mon erreur et peut-être rendre visite à Jimmy à Bourg Saint Maurice. Depuis le temps que je devais faire l’aller-retour et que je repoussais l’échéance.

 Gary était donc mort d’un accident. Il devait sûrement conduire sa vielle Ford Fiesta. Tellement délabrée cette bagnole. Elle avait été un argument de plus pour le traiter de radin. En réalité, peut-être l’était-il vraiment ? Je ne le connaissais pas très bien finalement. La portière côté conducteur n’ouvrait pas toujours. Il était parfois obligé de se faufiler par le siège passager pour sortir… La honte ! Norbert en avait même fait un sketch. Un comptable qui n’est pas foutu de faire réparer sa bagnole… Fallait pas déconner, on ne gagnait pas des mille et des cent, mais nous n’étions pas au SMIC non plus. On pouvait dire ce qu’on voulait sur la direction, mais à ce niveau-là, nous étions bien lotis. Sans compter les primes d’intéressement en fin d’année qui pouvaient monter à dix mille euros pour les cadres comme moi… Cela étant dit, j’avais une sacrée chance, j’allais travailler avec la belle Julie. Je ne perdais vraiment pas au change…

— Le monde ! s’est exclamé le patron. Il va falloir faire demi-tour et se garer bien plus loin. Nous ne sommes déjà pas en avance…

— Heureusement que j’ai demandé à la famille de nous garder une place, a ajouté Charlène.

À travers la vitre, j’ai aperçu l’église. Elle était bourrée à craquer. Des dizaines de gens attendaient pour pouvoir gravir les marches de la vieille bâtisse du 15e siècle. De tous les âges, ils se saluaient avec tristesse et empathie. Certains pleuraient. Un groupe de gamins revêtus d’un même maillot de foot bleu et blanc se tenaient deux par deux, main dans la main. Ils avaient six ou sept ans. Ce n’était pas possible, ce n’était pas pour Gary, il devait y avoir un autre enterrement. Le patron a tourné un moment avant de pouvoir se garer.

— Allez, ne perdons pas une minute, j’ai horreur d’être en retard, a lancé le boss.

Les talons de Clarisse résonnaient sur le trottoir et rythmaient nos pas pressés. Quand nous sommes enfin arrivés sur le perron de l’église, Charlène semblait un peu essoufflée. Le patron a traversé la foule en nous demandant de le suivre de près. Nous sommes entrés et il s’est dirigé tout de suite vers une dame d’une soixantaine d’années, très chic.

— Madame Persou, excusez-nous pour notre manque de ponctualité. Voici Hugo, le collègue de votre fils et les deux assistantes. Nous vous présentons nos sincères condoléances et restons disponibles si vous avez besoin de quoi que ce soit.

— Bonjour à tous et merci pour votre présence. Je vous ai gardé des places, venez par ici.

 

J’ai serré la main de la mère de Gary. Elle m’a tiré vers elle et m’a embrassé chaleureusement, comme si je faisais partie de sa famille. Après la nuit que je venais de passer, respirer la douceur de cette femme m’a fait beaucoup de bien. Je sentais en elle tout l’amour qu’elle devait porter à son fils. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’appréciais sans la connaître. Elle dégageait une sorte de force, d’honnêteté et de bienveillance malgré les circonstances.

— Hugo, Gary nous a beaucoup parlé de toi, de tout ce qu’il a appris à tes côtés et de ton professionnalisme. Il aurait été heureux que tu sois parmi nous aujourd’hui.

Les mots de Madame Persou m’ont fait l’effet d’un coup de poignard. Quoi ? Gary m’appréciait, parlait de moi ? Et cette femme, avec l’air si sympathique. La mère de Gary ? J’avais l’impression que tout cela n’était qu’une blague. Je regardais autour de moi. Tout ce monde !

Elle a regagné le banc réservé à la famille, à côté d’une jeune femme complètement effondrée. L’épouse de Gary ? Sa sœur ? Brune, plutôt ronde, elle avait l’air d’une bonne vivante. Voir sa peine me nouait le cœur. Madame Persou s’est penchée vers elle et l’a enlacée de longs instants.

— C’est la sœur de Gary, Mina, m’a lancé Charlène en chuchotant. Je l’ai rencontrée hier quand je suis passée voir Madame Persou chez elle sur ordre du boss. Elle est adorable mais vraiment anéantie par la mort de son frère. Cela inquiète beaucoup sa maman d’ailleurs.

— C’est affreux, ai-je répliqué prenant tout à coup conscience des conséquences du décès de mon collègue.

J’ai jeté un œil au cercueil. Au milieu des compositions florales, la photo de Gary, si jeune, si beau. En moi, je sentais une vive émotion et un sentiment de culpabilité qui se réveillait. Tout ce que j’avais fait pour lui nuire me revenait en pleine figure, comme une violente gifle qui arrive sans crier gare.

Un silence glacial a remplacé le brouhaha sourd. Une troupe de gospel s’est avancée. Les chants ont commencé. Les voix s’entremêlaient en une puissante mélodie qui faisait chavirer mon cœur. Puis le prêtre a commencé :

— Célébrer la vie de Gary Persou, fils fidèle, frère bienveillant, ami serviable et homme de confiance est un honneur pour moi. Chaque personne qui a croisé sa vie sait à quel point il était empli de bonté. Homme engagé dans de multiples causes, il a su transmettre l’amour de son prochain et œuvrer pour la solidarité. Clown dans les hôpitaux pour offrir de la joie aux enfants malades, entraineur du club de foot pour les poussins de la cité, membre actif des Restos du cœur et fondateur de l’association Ensemble, pour la paix, Gary donnait tout son temps, tout son argent, toute sa vie pour aider son prochain. Prions pour lui.

La chorale a fait, une fois de plus, voltiger les notes. Emportées par l’émotion, les larmes me sont montées, comme ça d’un coup. Même pour les obsèques de mes parents, je n’avais rien montré. J’avais tout gardé en moi. Pas un sanglot. Rien. Mais là, tout se mélangeait dans mon esprit. Qui était Gary ? Le type austère du bureau ou le gars généreux que décrivait l’homme de foi. J’étais troublé.

Charlène et moi n’en revenions pas. Nous tombions des nues. De découverte en découverte sur le personnage de Gary, nous nous sentions de plus en plus mal à l’aise. Pour finir, c’est le déshonneur qui m’a envahi. J’étais un idiot. Je n’avais en aucun cas laissé une chance à Gary. Il m’avait pourtant proposé plusieurs fois de passer lui rendre visite, mais j’avais une telle image de lui que je n’ai jamais accepté ses invitations… Ma jalousie avait avalé toutes mes valeurs. Ma peur de me faire prendre mon hypothétique future place de numéro trois avait balayé ma raison. Et là, ma dignité foutait le camp.

Je me suis éclipsé juste après la cérémonie, à pied, seul, rouge de honte. Charlène m’a couru après :

— Hugo, reviens. Partir comme ça, c’est impossible, le DG ne comprendrait pas et madame Persou a organisé un petit quelque chose chez elle. Viens !

— Charlène, je ne peux pas. Ce n’est pas le Gary que je connaissais, ce n’est pas lui.

De la main, j’ai repoussé Charlène et j’ai accéléré la cadence. J’ai marché vite, le plus vite possible. À un moment, j’ai même couru, mais rapidement j’ai eu le souffle coupé. Mon cœur cognait fort. Je regardais à droite à gauche, tout était normal. Des bus, des passants, des voitures, des gens. Je ne les voyais plus pareil. Le p’tit jeune là-bas avec son chien et son jean troué était-il un homme bon ou mauvais ? La dame derrière toute pimpante et élégante, que cachait-elle ? Je ne savais plus qui était qui, je n’avais plus aucune perception de rien. J’ai arrêté de les regarder, eux, tous. J’ai foncé tout droit. Des heures et des heures. La pluie s’en est mêlée, je dégoulinais de toutes parts en déambulant dans les rues sans savoir où mes pas me menaient et puis j’ai entendu la voix de Steph :

— Hugo, monte !

Je ne suis pas monté dans la BM de Steph.

C’est Norbert qui m’a attrapé le bras quelques mètres plus loin.

— Mec, on te cherche partout depuis ce matin, viens.

— Je ne viens pas. Toi, eux, moi, on est des pauv’gars, on ne vaut rien, pas un kopeck. Il va me falloir un moment pour pouvoir me regarder dans une glace. J’rentre chez moi. Laisse-moi.


 

Chapitre trois

Je suis parti comme ça, comme un adolescent têtu. Mon pas était lourd, mes yeux fixaient l’horizon d’un air hagard. À l’abri bus, j’ai attendu longtemps le car de la ligne 3. Il a fini par arriver et je me suis installé à l’arrière. Hypnotisés par leurs smartphones, les passagers ne me voyaient pas. J’étais seul. Seul, sombre et terni. Je suis descendu à la gare routière. Le hall était bondé de gens, de bruits, de sales odeurs. À la terrasse du café, j’ai observé. Tout. Rien. Voilà, mon monde s’était vidé. À la nuit tombée, je suis enfin monté dans le dernier bus. Direction la maison. Quelques minutes, je suis resté là, affalé sur les sièges, puis j’ai tenté de manger le sandwich acheté un peu plus tôt. Peine perdue. Je ne pouvais rien avaler. Gary me hantait, lui, sa vie, mes fautes. J’étais sot et idiot. Les visages de madame Persou et de Mina me faisaient face. La douleur de perdre un frère dans la fleur de l’âge, je trouvais ça atroce et injuste. Moi qui ne consacrais que peu de temps au mien, je mesurais l’ampleur de mes erreurs.

J’ai appelé Anastasia, quand même, pour la rassurer, parce que je savais qu’elle s’inquiétait malgré notre dispute de la veille :

— Anastasia, j’arrive.

— Oh, la bonne nouvelle ! Tu sais, on n’est plus à ça près et puis de toute façon tu n’es pas obligé de rentrer… Nous n’avons pas grand-chose à nous dire…

— Anastasia, arrête. Je te le demande encore une fois : excuse-moi !

—  Il n’est pas juste question de notre anniversaire de rencontre et tu le sais bien… Cela dit, aujourd’hui, j’ai essayé de t’appeler. Pourquoi tu ne me répondais pas ?

— Je n’étais pas bien. L’enterrement, tu sais, ce n’était pas si simple. Et puis notre dispute d’hier, je suis tellement désolé… Je suis en chemin. Je serai là dans un bon quart d’heure. Attends-moi s’il te plait.

— Tu me parles encore de ce Gary ! Mais bon sang, tu n’as plus que ça à la bouche. Ce n’est pas vrai ! Je ne te comprends plus. Te voilà le plus désespéré des hommes à cause de la mort d’un type que tu détestais au plus haut point. Tu es passé maître dans l’art de la manipulation et des fausses excuses… Plus ça va, plus tu me déçois…

Anastasia a raccroché. Je n’espérais plus qu’une chose : qu’elle soit encore à la maison quand je passerai le pas de la porte… D’accord, j’avais déconné, mais elle ne pouvait pas remettre en question notre si belle et si longue relation pour un petit oubli… Je l’aimais, mais à ce moment précis, je devais bien me l’avouer, nous avions du mal à nous comprendre, à nous écouter, à nous épauler. M’aimait-elle encore ? Un type aussi bancal que moi ? Je me mettais à douter de tout et de tout le monde, y compris de ma femme, de notre amour et surtout de moi.

Jamais je ne l’avais laissée, même quelques jours…

Jamais je ne l’avais trompée non plus et à vrai dire, je n’avais pas connu d’autres femmes. Elle avait d’abord été mon amie en classe de seconde au Lycée Jules Renard et puis, petit à petit, elle était devenue ma confidente et pour finir ma compagne. Pas de coup de foudre entre nous, plutôt une complicité qui s’était renforcée au fil du temps et des expériences.

Aujourd’hui, nous étions toujours ensemble. Nous avions bravé les épreuves et le temps, mais on ne s’était pas encore passé la bague au doigt et pas d’enfant à l’horizon. J’en avais terriblement envie pourtant mais Anastasia m’assurait depuis des années que ce ne n’était pas le bon moment… et puis, à force d’attendre, on avait fini peut-être par oublier qu’un couple c’était aussi avoir des projets.

Alors, insidieusement, j’avoue que notre relation s’était dégradée. Il était peut-être encore temps de nous sauver ou peut-être était-il déjà trop tard. Tous les deux, on le savait, mais on n’en parlait pas et on ne tentait pas grand-chose pour que ça s’arrange. Nous avions adopté la politique de l’autruche en souhaitant que l’orage passe, mais l’orage fugace n’en était pas un. Il s’agissait plutôt d’une longue dépression, pas assez virulente pour devenir tempétueuse, mais juste assez pour assombrir le ciel.

Quand j’ai ouvert la porte, j’ai filé directement dans la salle de bain. Il fallait d’abord que je me lave de cette maudite journée. J’ai fait couler l’eau, chaude, très chaude. La petite pièce, qui ne mesurait pas plus de quatre mètres carrés, s’est rapidement transformée en une espèce de hammam. Je ne distinguais plus mon reflet dans la glace et c’était exactement ce que je voulais. L’eau ruisselait sur mon corps. Je me décrassais en entendant Anastasia qui s’impatientait de l’autre côté :

— Mais qu’est-ce que tu fais ? C’est pas possible ? Et pourquoi t’as fermé la porte ? Tu ne fermes jamais la porte ! Bon sang, c’est quoi ce bazar ?

— J’arrive ma chérie, lui ai-je répondu comme si tout allait bien entre nous et dans ma vie.

En sortant, je me sentais un peu mieux, mais pas détendu pour autant. J’ai rejoint Anastasia dans le salon. La chaine d’infos en continu tournait certainement depuis un moment, un bruit de fond sordide plombait la pièce. Quelques mots se dégageaient par à-coups. Manchester, concert, explosion, Ariana Grandé, jeunes, attaque, morts, terroriste, horreur.

— Tu as vu ce qui se passe, ça craint, a balancé Anastasia.

Je regardais les images, interloqué. Des barrages de gendarmes, des commentateurs qui interprétaient de loin la scène apocalyptique.

— Et toi, t’es là à te lamenter sur ton sort et à te découvrir une nouvelle vie ! Vraiment, tu ne penses qu’à toi ! Il y a un monde autour, tu te souviens ?

— T’as raison, ai-je répondu en levant les yeux vers elle.

— Bon, qu’est-ce que t’as ? a-t-elle fini par lâcher sur un ton sec et détaché.

— Rien, je n’ai rien. Juste que je suis désolé pour hier et que l’enterrement ne s’est pas passé comme prévu, voilà. Je me suis planté sur Gary, c’était pas juste une pince et un opportuniste. C’était un mec bien en fait, je ne l’avais pas vu.

— Et c’est tout ? En fait, t’es même pas triste pour ton collègue. T’es vraiment un égoïste ! Tu ne t’arranges pas. Tu n’étais pas comme ça avant.

— Avant. Avant quoi ?

Il y avait toujours un avant et un après dans un couple, mais on ne connaissait jamais l’événement qui marquait la rupture. Chez moi, c’était quoi ? Je n’avais pas voulu regarder en face la douce descente aux oubliettes de notre amour. Dans les yeux d’Anastasia, je ne percevais plus beaucoup d’affection. Peut-être, en observant avec attention, là, tout au fond, j’aurais pu distinguer une lueur de vieille étincelle, mais je n’avais pas le temps de bien regarder. Je ne voyais que de la froideur, presque une haine de moi. Et la vérité, c’est qu’elle devait sûrement avoir raison. Je n’étais qu’une usurpation de moi-même.

— Je vais me coucher. C’est bon pour ce soir, j’ai ma dose. Et laisse-moi respirer, je suis crevée et je n’ai pas la tête aux grandes discussions. Il faudra bien qu’on parle un jour, mais pas maintenant, je t’en prie… Ah, au fait, je t’ai laissé une assiette dans le frigo. Mange au moins, ça te remettra peut-être les idées en place.

Je n’ai rien pu avaler. Je n’ai même pas bougé du canapé. J’avais envie de la rejoindre, de m’excuser encore une fois pour mon oubli qui semblait être la goutte d’eau qui allait faire déborder le vase. Mais j’ai respecté sa demande, je l’ai laissé en espérant que, comme d’autres fois, elle se calmerait et passerait outre. De toute façon, avec Anastasia, il valait mieux ne pas forcer les choses.

J’ai attendu, comme d’habitude.

            Pour la deuxième nuit consécutive, j’ai fini par m’écrouler devant la télé, ivre de fatigue, tout habillé, devant la chaine d’infos qui n’en finissait plus de relater l’horreur de l’attentat qui venait d’être perpétré. Des gosses, oui, des gosses qui étaient venus assister à un concert et qui n’en verraient plus d’autres. Ni de concerts, ni de potes, ni de rien. Des vies volées, assassinées. C’était ça notre monde, mon monde. Sur ce point, ma femme avait raison : j’étais là à me remettre en question alors que des malheurs insensés se produisaient chaque minute, chaque seconde, partout, là-bas, ici, tout près de moi… Et pourtant, combien de fois m’avait-on reproché de ne pas me livrer, de ne pas exprimer mes émotions ? Là, voilà, je m’ouvrais enfin et c’était une preuve d’égocentrisme…

L’odeur du café m’a réveillé.

— Tiens, bois ça, a dit doucement Anastasia, reprenant ainsi nos bonnes vieilles habitudes : laisser faire, ne pas en rajouter et tout rentrerait dans l’ordre…

Assis et vouté, j’ai avalé mon café en la regardant s’affairer à l’autre bout de la pièce. J’étais rassuré de la retrouver un peu plus apaisée même si je savais, tout comme elle, qu’un jour, il faudrait affronter les dissonances de notre couple… Mais le plus tard serait le mieux. Qui sait ce qu’il pourrait en ressortir ?

— Tu n’as rien mangé hier soir, a-t-elle dit en refermant la porte du frigo.

— Non, je n’avais pas faim.

Elle s’est approchée, s’est assise dans la loveuse en osier face à moi. Là, je pouvais sentir enfin un peu de douceur dans son regard posé sur moi, l’innocence des matins brumeux étant parfois le berceau de miracles éphémères.

— Bon, qu’est-ce que tu comptes faire aujourd’hui ? Tu vas au boulot ?

— Je ne crois pas. Mon boss m’a imposé quelques jours de congé pour me remettre. Je n’ai pas eu envie de refuser, ce n’est pas vraiment le moment de le contredire si je veux avoir la place de Nadine… De toute façon, je n’ai pas la tête à travailler.

— Tu as raison. Tu pourrais peut-être partir quelques jours rendre visite à ton frangin, gérer un peu tes affaires là-bas, la maison, les papiers ? Tu n’y es pas retourné depuis…

— Oui, depuis l’accident, je sais.

— Cela fait plus d’un an maintenant, presque deux. Vas-y. Et puis, ça nous fera peut-être du bien à nous deux aussi. Je crois qu’on a besoin d’air, d’espace. Tu sais, quand je te regarde, je ne te reconnais plus du tout.

— Oui, j’ai senti hier. Au fond de tes yeux, ce n’était pas de l’amour Anastasia. C’était plutôt un mélange de haine et d’indifférence.

— Non, pas de l’indifférence. Pas de la haine non plus. Mais peut-être de la lassitude, oui, c’est un truc comme ça. En ce moment, tu m’exaspères. Et puis, nous, faut se l’avouer, y’a plus grand-chose. Quelques habitudes qui sont devenues des rituels sans saveur.

— Tu y vas fort. Mais peut-être que tu as raison. Je vais partir quelques jours, mettre de l’ordre dans tous les papiers, voir Jimmy. Mais tu sais, Anastasia, faut pas qu’on se quitte. Pas comme ça. On a toute notre vie à construire.

Je me suis levé pour la serrer dans mes bras, mais elle s’est éclipsée dans la chambre avant que je ne puisse le faire. Elle s’est habillée, préparée. Plus classe que jamais, elle a tourné les talons, m’a embrassé du bout des lèvres, plus par devoir que par passion, et m’a dit :

— Bon, tu me tiens au courant.


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Et si un simple retard pouvait tout changer ? Et si, pour trouver le chemin du bonheur, il fallait simplement regarder à l’intérieur en osant affronter ses propres vérités et celles des autres ?







Belle lecture. . 

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